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Renaître à soi-même

Renatre--soi-mme

Renaître à soi-même. La formule revient régulièrement dans des ouvrages et sur des sites Internet consacrés au développement personnel. Toutefois, l’idée qu’elle porte est moins marginale que ne le laissent entendre ces contextes. Elle exprime de façon dynamique et particulièrement incarnée ce qui est devenu, depuis plusieurs décennies, une attente emblématique de la culture occidentale contemporaine : la construction volontaire de l’identité individuelle. « Être soi-même : tel est sans doute, aujourd’hui, le mot d’ordre le plus consensuel du monde occidental », constate François Flahault (2006 : 5).

Or le processus répondant à ce mot d’ordre se dissimule sous des expressions dont la familiarité nous empêche de voir le dédoublement qu’elles impliquent : « renaître à soi », « retrouver qui on est vraiment », « être libre de devenir soi-même », etc. Cette entreprise de réalisation de soi, mobilisant souvent le corps en tant qu’ancrage principal de l’identité personnelle (Vigarello 2014), conjugue deux orientations opposées.

D’un côté, elle est toujours en devenir : « Si l’individu contemporain est fragilisé par la difficulté d’un travail identitaire certes toujours inabouti (qui suis-je vraiment ?), il gagne précisément en consistance identitaire en tant que sujet accomplissant ce travail. C’est autrement dit la recherche de soi qui fait l’individu contemporain »

(Le Bart 2008 : 271 ; voir aussi Giddens 1991). De l’autre, étant conforme à la valorisation actuelle d’une authenticité intérieure (Taylor 2007), et au schème évolutionniste qui imprègne nos représentations culturelles (Moisseeff 2010), cette démarche suppose un retour aux sources. Elle procède de la possibilité de retrouver des qualités essentielles qui auraient été perdues au cours d’une histoire personnelle et/ou sociale, mais qui subsisteraient comme des potentialités au sein de chacun : la créativité et la spontanéité de l’enfance, un sentiment d’harmonie avec la nature, une spiritualité intuitive des peuples préindustriels, etc.

  • 1 Les citations de ce paragraphe et du suivant sont issues de sites Internet et flyers afférents à c (...)

2 L’idée d’une renaissance continue de soi fondée sur une aptitude à renouer avec des façons de penser et de ressentir supposément premières se retrouve, par exemple, dans les psychothérapies ou le coaching, mais aussi dans d’autres activités comme la publicité ou les émissions de télé-réalité qui posent comme impératif de devenir soi-même. Elle se donne à voir sous une forme particulièrement systématique dans des pratiques corporelles que leurs praticiens qualifient souvent de « spirituelles ». C’est notamment le cas de danses collectives comme la Biodanza, « un système d’intégration humaine, de rénovation organique, de rééducation affective et de réapprentissage des fonctions originaires de la vie » créé par le chilien Rolando Toro dans les années 1960 ; la Danse Sacrée en Cercle (Sacred Circle Dance), une « pratique spirituelle qui transforme et guérit », initiée par la communauté New Age de Findhorn en Écosse dans les années 1970 ; la Danse des 5 Rythmes, une « méditation en mouvement » créée par l’américaine Gabrielle Roth vers la fin des années 1970 ; ou encore la Danse Médecine (Movement Medicine), « destinée à éveiller une intelligence corporelle porteuse d’une sagesse insoupçonnée », fondée par Susannah et Ya’acov Darling Khan en 2007 à Londres1. Afin d’éclairer les dynamiques générales présidant à la fabrique de l’individualité dans les sociétés occidentales contemporaines, nous nous proposons de décrire certaines caractéristiques récurrentes et constitutives de ces pratiques : la place centrale accordée au corps en tant que source d’action et d’émotion, le caractère volontaire, paradoxal et hautement réflexif de la démarche de construction de soi mise en œuvre dans ces pratiques et, enfin, le rôle essentiel qu’y jouent les autres comme témoins et comme ressources.

Objets, méthodes et perspectives

3 Une « exploration de soi à travers le mouvement », « une invitation à trouver et vivre le plus profond de ce que vous êtes », « une méditation en mouvement qui nous connecte à la profondeur de notre être, aux autres, à l’environnement », telles sont les présentations que font les enseignants de leurs pratiques, sur leurs sites et flyers. Celles-ci proposent d’« ouvrir votre champ d’attention », de découvrir « la puissance de l’émotion, l’éclair de l’intuition, la richesse de l’imaginaire ». Elles sont, toujours selon les termes des praticiens, des techniques pour « se relier à soi, à l’autre, au groupe et à la dynamique de la vie », pour « révéler l’essence de notre être », pour « redécouvrir nos sensations », et « développer notre plein potentiel ».

Elles servent enfin à s’ouvrir à « l’authenticité de nous-mêmes, [...] à être et exprimer qui nous sommes », « à nous sentir pleinement vivant, à exprimer qui nous sommes de façon profonde et essentielle ».

  • 2 Une séance hebdomadaire coûte entre 15 et 20 euros. Pour la Biodanza par exemple, la participation (...)
  • 3 La Danse des 5 Rythmes, par exemple, repose sur une structure relativement contrainte constituée d (...)

4 Ces danses ont lieu lors de séances hebdomadaires de deux ou trois heures, ainsi qu’au cours de stages d’une journée ou d’un week-end, où sont rassemblés une quinzaine à une cinquantaine d’individus, voire plus2. Encadrés par des « facilitateurs » ou « enseignants », les participants y sont principalement occupés à danser en musique. Dans certaines pratiques, ils bougent librement en puisant leur inspiration dans les rythmes et tonalités d’une sélection musicale préparée par l’enseignant3. Dans d’autres, comme la Biodanza, ils sont invités à s’engager dans une suite ordonnée de « propositions » : danser dans une ronde, marcher seul ou à deux, coordonner ses mouvements avec un ou plusieurs autres participants, etc. Bien qu’il y ait d’importantes variations, chaque séance est minutieusement agencée, généralement constituée d’une entrée en matière douce, de débuts modérément intenses, d’une montée en puissance progressive avec un ou deux moments d’apogée, d’un ralentissement et d’une diminution d’intensité menant soit au silence et à l’immobilité, soit à un court temps de « réactivation », comme une ronde finale. Avant ou après la danse, parfois au milieu de son déroulement, les participants sont invités à se réunir en cercle, debout ou assis, à joindre leurs mains, à annoncer leur prénom et, pour ceux qui le souhaitent, à « partager quelque chose avec le groupe ».

5 Ces activités ne sont ni des thérapies, ni des apprentissages ésotériques, ni des cours de danse, ni des fêtes dansantes. Leurs participants l’affirment souvent : si ces pratiques peuvent avoir des effets thérapeutiques, elles ne revendiquent jamais le statut de traitements destinés à guérir des désordres physiques ou psychologiques. De plus, ces danses, ouvertes et immédiatement accessibles à tous, ne demandant que peu d’effort et d’engagement – la participation régulière, si elle est encouragée, n’est pas obligatoire –, ne relèvent pas d’un apprentissage initiatique ou ésotérique. Enfin, la danse n’est pas tant considérée comme une fin en soi que comme un moyen d’accéder à des expériences hors du commun, en rapport avec la découverte et la transformation de soi. Ces pratiques se distinguent donc des activités destinées à développer des compétences de danseur entraîné, tout comme des danses de loisir entreprises dans le contexte de préoccupations prosaïques telles que l’amitié, la séduction ou la mise en condition physique.

  • 4 Cette tendance à faire valoir, en discours et en actes, le caractère exceptionnel du vécu suscité (...)

6 La plupart de ceux qui prennent part à ces danses expliquent leur participation moins par des motivations précises en termes de développement de telle ou telle capacité, que par des circonstances personnelles, évoquant sous la forme d’anecdotes les conseils d’un ami ou des rencontres fortuites. Il leur arrive souvent d’expérimenter plusieurs de ces pratiques avant de trouver celle qui leur convient : tel enseignant serait « trop intellectuel », tel autre « pas assez rigoureux » ; pour certains, la Biodanza serait « trop développement perso » (« Je veux danser, moi ! »), pour d’autres, il n’y aurait « pas assez de relationnel » dans les 5 Rythmes, ou « trop de blabla » dans la Danse Médecine (« T’es trop dans le mental : du coup, tu peux plus être en toi »), etc. À cette diversité difficilement maîtrisable des motifs de la participation individuelle correspond l’uniformité du type d’effets que les pratiquants lui reconnaissent, mais dont la nature n’est pas facile à saisir. Pour en témoigner, les participants ont tendance à recourir à des formules floues et difficilement vérifiables qui illustrent surtout une familiarité avec un certain type de discours. Ils disent se sentir « plus énergisés », « différents », « mieux dans [leur] vie », « plus sensibles au mouvement de la vie », etc. Toutefois, à un autre niveau, cette façon de s’exprimer, tout comme le fait de retourner régulièrement à ces séances, témoignent d’une expérience vécue hors du commun, difficile à restituer et dont le sens n’est pleinement accessible qu’au moyen d’une participation effective4.

7 Nous envisageons ces danses comme des démarches cérémonielles. Elles comportent en effet les deux principaux traits constitutifs des pratiques rituelles. D’une part, elles peuvent être qualifiées de « stipulées » (Humphrey & Laidlaw 1994), au sens où les conditions ordinaires de l’intentionnalité s’y estompent en faveur d’activités qui procèdent d’injonctions et qui sont supposées avoir une valeur et une efficacité intrinsèques. D’autre part, comme nous le verrons, les activités en question sont organisées de telle sorte que leur saillance va de pair avec une incertitude quant à la nature des expériences inédites de soi auxquelles elles donnent accès (Houseman & Severi 2009). Il en résulte que ces expériences, à la fois indéniables mais difficiles à déchiffrer en termes de motivations et façons de faire ordinaires, acquièrent un caractère auto-référentiel. Elles s’imposent aux participants comme des références « privilégiées » (Bell 1992), largement incontestables, à l’aune desquelles ceux-ci peuvent définir, sur des bases renouvelées, qui ils sont vraiment. Autrement dit, nous percevons dans ces danses collectives – à l’instar de bon nombre de pratiques en Occident contemporain relevant des mouvances du New Age, du néopaganisme et du développement personnel – un dispositif qui fournit aux pratiquants un vécu ayant valeur d’autorité transcendante pour la construction volontaire d’identités individuelles.

  • 5 Notre travail de terrain, débuté en octobre 2014, consiste pour l’essentiel en la participation à (...)

8 Suivant les conseils de Jeanne Favret-Saada, nous avons fait de notre participation à ces danses « un instrument de connaissance » (2009 : 153)5. Cette stratégie d’enquête s’est avérée particulièrement adaptée à l’observation et à l’interprétation de pratiques rituelles dont l’efficacité se rapporte moins à l’accomplissement par les participants de certaines actions « archétypales » (Humphrey & Laidlaw 1994) qu’à l’expression chez eux de certaines dispositions exemplaires (Houseman 2012). Compte tenu du caractère inhabituel de ce type d’objet en ethnologie, il est utile de souligner qu’il en va ici comme des pratiques cérémonielles de facture plus classique : la description et l’analyse ne portent pas sur les états intérieurs des participants, mais sur les procédés mis en œuvre pour les induire, et les comportements par lesquels ils se donnent à voir. Comme le rappelle Roy Rappaport (1979), le rituel consacre une frontière entre l’invariabilité publique et les vicissitudes privées : l’étude anthropologique de ces danses se doit de prendre appui sur des données relatives non pas aux vécus singuliers des pratiquants, mais aux formes récurrentes de leur pratique.

Ressentis corporels et émotions

9 Le dispositif mis en œuvre décline de différentes façons une même idée-force déjà présente dans les discours – flyers, sites Internet, etc. – qui entourent ces danses collectives. Le corps, les sentiments et les émotions des participants constituent les fondements de leur identité, et, mobilisés par le mouvement dansé, ils forment la matière première du « travail sur soi-même » que chacun entend accomplir au cours de ces séances : « vivre la rencontre avec soi-même, avec l’autre et avec l’environnement, à travers l’émotion et le plaisir du mouvement et de la danse ». Ce ressort central est affirmé par tous et par tous les moyens. Ainsi l’on retrouve, dans les cercles de parole qui marquent généralement la fin des séances, une expressivité affective et corporelle qui fait directement écho aux « invitations » emphatiques des flyers. Si les participants y évoquent parfois des événements de leur vie personnelle, ils expriment surtout, par des remerciements émus, par un geste ou par de simples mots destinés à l’assistance (« joie », « tranquillité », « paix », « revigoré », etc.), combien cette danse leur a permis de se vivre différemment, et de « revenir » ou de se « connecter » à eux-mêmes. Dans la Biodanza, le cercle de parole a lieu au début, afin de permettre aux pratiquants de partager leurs expériences de la séance précédente et/ou d’y « déposer » symboliquement quelque chose avant de danser. Les individus y interviennent plus longuement et font davantage référence à des situations personnelles. Toutefois, il est frappant de constater à quel point le contenu des récits, souvent traité de manière allusive, importe moins que l’intensité affective manifestée et la densité que cela confère à la présence de chacun. À titre d’exemple, nous avons entendu lors d’une séance ces témoignages tout à fait caractéristiques : une personne demande aux autres de penser à une de ses amies qui vient de mourir après avoir fait preuve d’un grand courage au cours de sa longue maladie ; elle explique que cela la toucherait de penser que celle-ci danse avec le groupe ce soir-là. Une autre raconte que sa fille « vient de vivre quelque chose d’assez traumatique » et qu’elle voudrait lui transmettre le sentiment de joie qu’on ressent dans la danse. Enfin, une troisième dit, les larmes aux yeux, combien revenir et retrouver le groupe est important pour elle, car « c’est comme rentrer à la maison ». Personne ne fait de commentaire, mais tous montrent clairement leur empathie. Une émotivité, et son expression, particulièrement intenses, semblent constitutives de ces séances : nous allons tenter de mettre en évidence les mécanismes qui les engendrent.

10 L’atmosphère qui s’impose aux participants dans l’espace dédié à la danse fait partie intégrante du dispositif d’injonctions orientant la pratique. Cette ambiance marquante est maintes fois décrite dans nos carnets de terrain :

« L’odeur d’encens est très présente, sans être dérangeante. Elle me parvient depuis l’entrée du bâtiment, tout comme la musique, douce, aux sonorités indiennes. À l’intérieur, les tables, miroirs et certains murs sont recouverts de tentures ou de voiles aux couleurs chaudes. Il y a des bougies ici et là, les lumières de plafond sont éteintes, remplacées par de petites lampes installées dans les coins. »

« Il règne une relative pénombre dans la salle. Une quinzaine de personnes sont déjà présentes, se changent, se saluent par de longues accolades, s’échauffent. Au bord de la piste, l’installation sonore : un ordinateur sur une table haute, nappée d’orange, de grandes enceintes autour. À côté, une petite console avec une tête de Bouddha sur un drapé, du lierre, quatre bougies. »

11 Les tenues prédominantes dans l’assemblée – des vêtements colorés, amples et flous, sarouels ou tuniques – participent également de cette ambiance enveloppante. L’environnement sonore est lui aussi très chargé. La musique, audible avant même que ne démarre la séance, ne s’arrête presque jamais. La séance commence généralement par un moment assez long d’échauffement du corps, parfois appelé « sas ». Ce réveil de la sensibilité et de la conscience est présenté comme un « moment pour vous, pour entrer dans la danse ». Les musiques se succèdent en imposant chacune leur tonalité émotionnelle. On navigue d’un univers musical à un autre, aux résonances celtiques, africaines ou indiennes, en passant par des morceaux électroniques, lyriques ou percussifs. Mais ces sélections musicales ne sont pas les seuls inducteurs. Souffles et bâillements, râles, soupirs, pieds martelant le sol, gémissements, petits cris, éclats de rires ou sanglots étouffés : si la parole est proscrite pendant la danse, la présence corporelle et émotive des pratiquants est très perceptible.

12 Sons, odeurs, couleurs et formes, impressions kinesthésiques et tactiles, vibrations, etc., tout contribue à susciter un environnement saturé dont on ne peut s’abstraire, et qui façonne peu à peu le danseur en l’amenant à un « enivrement sensoriel » (Wacquant 2000 : 51). Cette atmosphère puissante constitue en soi une injonction à orienter l’attention vers son propre corps, ses perceptions sensorielles et les émotions qui en émanent. En d’autres termes, l’ensemble instille un mode de présence à soi à la fois actif et contemplatif, à la fois tourné vers et animé par le corps et ses sensations.

  • 6 Les citations de ce paragraphe sont extraites de la séance de Danse Médecine « Naître à 2016 » du (...)

13 À ces influences ambiantes s’ajoutent des injonctions verbales de l’enseignant/facilitateur : « Invitez-vous, invitez-vous à bouger, à vous déplacer6 », peut-on entendre dans les pratiques de « méditation en mouvement ». Ou encore : « Je dis OUI. Oui à ce danseur, oui à cette danseuse. Qui est en moi, qui n’a qu’une envie, c’est de... hhaa [souffle] de danser ». Ainsi cette danse aurait pour vocation de relever les sentiments et attitudes intimes du danseur : « Qu’avez-vous envie de manifester ? Vraiment, c’est la danse, c’est votre mouvement, qui vous guide. Rien d’autre. Votre mouvement, votre corps, et votre cœur ». Les directives des enseignants focalisent l’attention du participant, non pas sur des mouvements et techniques corporelles précis, mais sur des modes de perception, des parties spécifiques du corps, et surtout des façons particulières de se ressentir.

14 On nous propose : « Invitez l’espace du cœur à venir danser. Invitez le ventre, [...] invitez le bassin, les hanches. Et invitez toute la colonne vertébrale [...] à se mettre en mouvement [...] ; vraiment respirez dans cette colonne, invitez l’espace entre chaque vertèbre, mettez le souffle entre chaque vertèbre, et en même temps, restez connecté à votre bassin, à vos hanches, votre terre... ». Puis les danseurs sont encouragés par des ponctuations lancées à tout le groupe, telles que : « Oui, c’est ça... voilà... continuez... ». À un autre moment, la parole cherche à les inspirer par le biais de visualisations surchargées : « Inspirez et expirez jusque dans les pieds, jusque dans les plantes de pieds, ces plantes de pieds qui sont des racines, qui vont profond dans la Terre ; et cette Terre et ces racines vont remonter dans vos jambes. Sentez cette Terre dans vos jambes, votre bassin, puis mettez cette conscience dans votre buste, dans votre torse, au niveau, dans la région du cœur, l’espace du cœur ». À force de répétition, ces incitations en viennent à prendre une dimension liturgique et quasi hypnotique. Elles cherchent moins à transmettre une information qu’à provoquer une sensorialité et une conscience accrues, et leur traduction en actes dansés.

15 Dans la Biodanza, le facilitateur donne l’exemple en montrant au début de chaque proposition les mouvements à faire. À chaque séance, ou presque, les pratiquants sont notamment encouragés à marcher simplement dans la pièce, mais en incarnant une certaine attitude : « être pleinement présent », « manifester qui on est », « ressentir la joie de vivre », etc. Seul au centre du cercle, le facilitateur illustre cette façon de marcher, non pas, explicite-t-il souvent, comme un modèle à suivre, mais comme une source d’inspiration. C’est la durée de la démonstration qui surprend : entre trente secondes et une minute, parfois plus, alors que le mouvement lui-même est compris en quelques secondes. On voit bien que le participant, alors spectateur, reporte rapidement son attention des gestes du facilitateur sur son expression et sa qualité de présence, comme pour y décrypter des émotions et intentions particulières. L’injonction, ici, n’est pas de reproduire les gestes précis de la marche. Il s’agit plutôt, pour chacun, de trouver en lui-même une qualité de présence comparable et de la rendre manifeste dans son propre mouvement. On assiste aussi à ce type d’injonctions démonstratives, quoique moins explicites, lorsqu’au cours des « méditations en mouvement », les enseignants, comme incapables de se retenir, abandonnent soudainement leur table de mixage pour rejoindre le groupe, virevoltant dans toute la salle en y impulsant une nouvelle dynamique.

16 Régulièrement, les enseignants gardent le silence, et laissent les gestes et attitudes des pratiquants donner le ton de la séance. Ces moments ne manquent pas d’intensifier le sentiment de conscience de soi. Les participants ainsi laissés sans direction observent alors les danseurs qui les entourent, non dans l’idée de les imiter, car cela ne pourrait être authentique, mais plutôt pour être inspirés par eux. De fait, ces pratiques rassemblent toujours des habitués dont le comportement fait référence pour les moins expérimentés : ceux-ci s’évertuent à trouver et faire infuser dans leur propre danse, dans leur corps, toutes ces qualités exemplaires – « créativité », « spontanéité », etc. –, promues par les discours et dont ils peuvent percevoir la présence chez les autres.

  • 7 De temps à autre cependant, de rares danseurs cherchent à explorer et développer leur créativité a (...)

17 On observe ainsi une certaine uniformisation des gestes et postures qui circulent de cette manière, malgré l’impératif de spontanéité et de créativité, et l’absence de technique imposée. Cette relative homogénéité découle également du caractère hautement directif de la musique. C’est particulièrement évident dans les Danses Sacrées en Cercle dont les musiques ont été composées spécialement pour ces chorégraphies collectives. C’est également le cas dans la Biodanza dont les figures récurrentes, combinées de façon différente à chaque séance, sont exécutées au son de compositions musicales dont la structure et l’imaginaire conventionnels s’imposent aux gestes dansés (Dixieland, rythmes latinos ou rock des années 1960, par exemple). Dans le cas des 5 Rythmes et autres « méditations en mouvement », durant les phases où la musique est plutôt lente et fluide, peu rythmée, les danseurs ont tendance à rester sur place ou dans un tout petit périmètre ; ils glissent parfois d’un pied à l’autre pour se déplacer lentement ; ils balaient doucement l’air de leurs bras en dessinant de grandes courbes, le dos souple et ondulant ; leurs yeux sont tantôt fermés, tantôt mi-clos, suivant alors le chemin de leurs mains ouvertes vers l’extérieur et vers le haut, comme si celles-ci leur racontaient une histoire. Pendant les phases plus rapides et percussives, les danseurs ont tendance à courir, sautiller ou tournoyer dans toute la pièce, ou bien à sauter sur place, martelant bruyamment le sol de leurs pieds ; les ondulations du haut de leur corps s’estompent au profit de mouvements secs et saccadés ; on secoue les mains, les bras et la tête en tous sens7. Pris dans le mouvement collectif, dans l’intensité de l’instant, les danseurs sont continuellement modelés par la musique, par leurs propres mouvements et par ceux des autres, par leurs interactions fugaces, par les partenariats qui se font et se défont, par l’influence plus ou moins subtile du facilitateur.

18 Au fil des séances émerge ainsi un corps dansant d’un type particulier et aisément identifiable : absorbé en lui-même, mû de l’intérieur, et en même temps offert et visiblement réactif à tout ce qui l’entoure. Les danseurs semblent animés par une énergie remontant de leurs pieds ancrés dans le sol jusqu’à leur poitrine qui s’ouvre et leurs épaules qui se relâchent. Leur tête bascule vers l’arrière, leurs membres souples ne cessent de bouger, et ils s’élancent en des mouvements et déplacements fluides continuellement modulés. En croisant témoignages, observations et introspections, nous pensons que ce qu’attendent et expérimentent les danseurs ici, favorisé par l’ensemble du dispositif, correspond à une mise en cohérence entre ressentis intérieurs et mouvements qui se donnent à voir : une sorte d’harmonisation organique entre les émotions des danseurs et leurs actions. Une facilitatrice de Biodanza, à propos du regard qu’elle porte sur les participants, parle de cet accordage exceptionnel comme d’une « intégration sensori-motrice », première étape d’un processus mis en œuvre par la danse. Les indices en seraient une certaine lenteur des mouvements, un abaissement des paupières, un visage détendu, un léger sourire, en somme des signes de plaisir : cette mise en cohérence devient tangible « lorsqu’on sent le plaisir qui circule ».

19 Le palier suivant du processus, d’après une autre facilitatrice, serait l’« intégration affectivo-sensori-motrice ». À ce stade, les émotions et leur expression sont incluses pour accéder à une expérience d’une continuité exceptionnelle entre le corps et ses expressions affectives. Aussi pouvons-nous imaginer qu’un troisième palier consisterait en l’adjonction d’un accordage corporel et émotionnel avec les autres danseurs, de sorte que cette continuité puisse être éprouvée à la fois en soi-même et à travers l’autre. Les facilitateurs et les pratiquants réguliers assimilent fréquemment cette dynamique de réintégration progressive à un processus de transformation et de renaissance : « Depuis que je danse, je suis changé, je change continuellement » ; « Voilà, je suis réénergisé maintenant » ; ou encore, « En plus on est le 1er novembre, c’est le jour des morts, et c’est ta renaissance, tu as enterré ce souvenir » (commentaire d’un participant à un autre qui partageait un souvenir douloureux et qui exprimait le sentiment de l’avoir dépassé grâce à cette séance). Toutefois, selon nous, c’est plus précisément la prise de conscience d’un engagement dans cette dynamique qui fait émerger chez le danseur ce sentiment de métamorphose.

Un processus réflexif

20 Si les participants peuvent être momentanément pris dans ces ressentis immédiats qui accompagnent la danse, l’attention qu’ils sont continuellement enjoints à porter sur eux-mêmes implique dans le même temps une grande part de réflexivité. Les injonctions démultiplient leur vigilance quant à l’écart éventuel entre leurs pensées, ressentis et mouvements effectifs et ceux auxquels ils aspirent. Cet éveil de l’attention est d’autant plus puissant que les idées-forces animant ces aspirations (« spontanéité », « créativité », « son être profond », etc.), loin d’être clairement définies, restent des références énigmatiques. Si l’on devine, par exemple, que la « spontanéité » en question désigne une chose très différente du caractère non-réfléchi des gestes quotidiens, il revient au pratiquant de découvrir par lui-même, en tâtonnant, ce qu’elle pourrait concrètement signifier pour lui. Les danseurs se trouvent ainsi dans la délicate situation de devoir entreprendre intentionnellement des gestes « naturels », de se montrer volontairement « spontanés », de se lier avec un inconnu en toute « sincérité », etc. Ils sont plongés dans les eaux troubles et mouvementées d’une perpétuelle interrogation sur soi. Sur ce plan, les instructions verbales sont d’une utilité relative, suggérant qu’il existe une façon de bien faire, sans en dévoiler la nature : « Don’t push. Don’t hold back », disent couramment les enseignants anglophones de 5 Rythmes, couplet déconcertant qu’on retrouve dans la séance de Danse Médecine du Nouvel An : « Rien à forcer. Rien à retenir. 2016. Naissance ».

21 Exemple particulièrement flagrant de cette incitation à la réflexivité : le facilitateur nous invite lors du cercle de parole à dire notre prénom « comme on le veut, sachant que c’est déjà révélateur d’une certaine forme d’expression de soi-même ». Chacun est ainsi amené à chercher une certaine authenticité, ce qui a pour effet de perturber la simplicité de cet acte. On obtient le même genre d’effet, de façon plus subtile, avec le petit temps d’arrêt qui précède chaque prénom, en employant une élocution particulièrement lente et précise, et surtout en prononçant la formule qu’utilisent les enseignants pour donner l’exemple : non pas le simple énoncé du prénom (« Charles »), ni l’ordinaire « Je m’appelle Charles », mais l’affecté « Je suis Charles ».

22 S’évertuer deux heures durant à danser de façon « créative » et « authentique » n’est pas chose aisée. Comme les autres participants, nous empruntons divers itinéraires continuellement réajustés où des temps d’« intégration affectivo-sensori-motrice » alternent avec des prises de conscience réflexives. Une stratégie souvent observée consiste à adopter une façon de bouger communément interprétée comme instinctive, « primitive » ou enfantine : gestes assimilés à des danses africaines ou orientales, sautillements, mouvements chaotiques comme ceux qu’on imaginerait relever d’une transe... Puis le mouvement change ; les participants se lassent peut-être de ces gestes artificiels, et puisent dans les micro-mouvements inspirés des sensations corporelles. Certains basculent alors dans une danse plus ramassée, qui a le mérite d’engendrer des gestes ressentis comme plus naturels. Une oscillation d’un côté à l’autre, des bras qui se balancent, des pieds qui scandent le rythme en frappant le sol... Mais répéter indéfiniment un geste, même pour l’explorer, devient rapidement monotone et insuffisamment « créatif » car, conjointement à l’injonction de spontanéité, celle de l’expressivité continue d’inciter les pratiquants à chercher une variété et une inventivité, qu’ils peuvent retrouver, par exemple, dans des gestes dansés conventionnellement reconnus comme instinctifs, « primitifs » ou enfantins. Retour à la case départ.

23 Ce genre d’avancées hésitantes peut devenir encore plus inconfortable lorsqu’on interagit avec un partenaire. Comment s’y prendre pour regarder quelqu’un « naturellement » avec « sincérité » et « sensibilité » ? Échanger un regard et immédiatement le détourner peut paraître trop fuyant, tandis qu’un regard trop soutenu semblerait agressif ; danser les yeux dans les yeux serait intrusif, tandis qu’afficher un visage impassible, sans expression, paraîtrait peu sociable ; un sourire mystérieux, sans raison claire, donnerait quant à lui un air un peu bête ou carrément suspect. Les mêmes soucis interviennent pour le toucher, le positionnement des bras, la vitesse des mouvements. Toute initiative peut devenir une embûche qui ramène le participant à la conscience de lui-même.

24 Au cours de ces pratiques, les participants expérimentent les mille et une façons de se méprendre. Toutefois, soutenus par l’effet régulateur de la musique, stimulés par la force expressive du mouvement de l’un ou de l’autre, portés par l’entrain du groupe entier, par les divers indices ambiants et par les instructions sporadiques du facilitateur, les pratiquants persévèrent, en dépit des difficultés rencontrées pour suivre la voie que Paul Heelas (1996) a très justement désignée comme celle du « quêteur » (seeker). Durant ce cheminement, sous l’influence croisée de la fatigue physique, de constantes négociations interpersonnelles et d’une surcharge sensorielle, surviennent alors des moments où les participants renoncent à cet état de vigilance accrue pour se laisser aller à se mouvoir tout simplement, ouverts à toute éventualité. Dans cet instant hors du commun qui surprend, toute volonté cède la place à la sensation immédiate d’une fluidité harmonieuse et enchanteresse. Ces temps d’aisance et de clarté peuvent être très brefs, occasionnés par une coordination étonnamment parfaite et inattendue entre son propre mouvement et celui de ses voisins de ronde, ou plus longs, lorsque deux partenaires se trouvent pris ensemble, au fil de leur danse, dans une synergie jouissive. En ces instants-clés – que facilitateurs et participants aiment nommer « lâcher-prise », et que nous appelons « moments de grâce » –, sa propre danse, les sensations et émotions qu’elle suscite, le mouvement et les personnalités des danseurs autour de soi, les expressions émotionnelles et réactions du partenaire, la musique, les lumières, les bruits et les parfums... tout se fond et se confond en une expérience totale, cohérente et dynamique. Parlant d’un de ces « moments exceptionnels », Stéphane, danseur expérimenté, se souvient :

« Les mouvements que nous faisions, ma partenaire et moi, devenaient de plus en plus ajustés, [...] ajustés au millimètre près, au quart de millimètre près [...], quelle que soit la vitesse. Et là, quelque part, quand c’est comme ça, au niveau énergétique [...], par exemple des deux bras, tu sens l’énergie tout le long ici [il montre ses avant-bras]. Et [...] t’as le bras devant l’autre, tu sens son corps etc., et puis tu ouvres, tu descends en même temps [...], là c’est l’extase. [...] Et ça, c’est créer un sentiment de trouble... Moi ça me trouble, ça me touche, vraiment, dans l’instant je suis amoureux, total ! [...] pour moi, c’est un exemple d’entente parfaite dans le mouvement. »

25 De tels moments de grâce sont d’autant plus fascinants qu’ils surgissent dans le cadre d’une danse à deux, car ils sont enrichis par une réverbération interpersonnelle : chacun voit, comprend et apprécie le fait que l’autre voit, comprend et apprécie, et cet effet de miroir augmente d’autant plus l’impression d’unité et de fluidité « naturelles » qui leur donnent leur valeur intrinsèque. Toutefois, malgré l’intensité que peuvent revêtir ces épisodes, les danseurs restent très présents à eux-mêmes, à l’autre et à la situation, notamment du fait de la survenue d’éléments potentiellement dissonants : une maladresse momentanée, une pulsion de séduction, une hésitation, une pitrerie, etc. Ces sursauts relevant de l’ordinaire s’insinuent malgré tout dans le flux du mouvement sans poser problème. L’espace d’un instant, ils sont au contraire intégrés avec fluidité dans une expérience personnelle, immédiate et gratifiante.

26 Ces moments de grâce se sont imposés à nous, débutants, comme des fulgurances. Avec l’expérience, on apprend cependant à les amorcer et à prolonger leurs effets. Mais pour tous, immanquablement, ces instants envoûtants sont perturbés par l’irruption de pensées et sentiments contradictoires, inhérents à la danse elle-même : une attirance sexuelle, une rivalité, un moment d’absence, la prise de conscience de ses limites physiques ou de celles de son partenaire, la présence intimidante d’un autre danseur, etc. Ainsi, au cours d’une même séance, alternent continuellement des temps d’essais-erreurs plus ou moins fructueux et des moments de grâce singuliers. En réitérant cette oscillation dans des situations, sur des musiques et avec des partenaires différents, les participants voient leurs attentes évoluer. Au fil du temps, ils s’accommodent des aspects décourageants de l’exploration de soi et parviennent à anticiper les sensations agréables de la coordination et de la complicité exceptionnelles que les moments de « lâcher-prise » leur procurent. Ils jouent avec plus de facilité et de flexibilité avec les ressentis exemplaires qu’ils sont supposés incarner et développent des habitudes personnelles : une façon bien à eux de trouver leur rythme et de structurer leur danse dans le temps, une manière particulière de toucher, de composer son visage, de regarder l’autre dans les yeux, ou encore d’initier et de conclure un partenariat. Ils acquièrent une maîtrise accrue et personnelle du vocabulaire spécifique de ces pratiques, ainsi que des attitudes non-verbales et des modes de présence qu’elles exigent.

  • 8 Terme inspiré de l’espagnol vivencia, qui désigne, selon la terminologie de la Biodanza, les séanc (...)

27 En quoi consistent alors les actes et modes de présence qui incarnent les dispositions exemplaires présumées porteuses d’une valeur en soi : authenticité, créativité, naturel, etc. ? Être « spontané » revient moins à se comporter spontanément qu’à produire une représentation conventionnellement déterminée de ce qu’« agir spontanément » est supposé être. Cependant, comme elles sont agies, c’est-à-dire personnellement incorporées, de telles représentations ne sont pas abstraites ; ce ne sont pas non plus des images lointaines, mais au contraire des expériences immédiates, profondément vécues, qui s’imposent comme telles à ceux qui les ont produites et à ceux auxquels elles sont adressées. De fait, plus les pratiquants deviennent familiers de ces représentations incarnées, plus celles-ci perdent leur qualité de représentations pour devenir des modes de ressentir et d’agir spécifiques, reconnaissables avant tout par l’expérience kinesthésique et affective qu’elles suscitent. Elles cessent d’être des représentations de dispositions jugées exemplaires pour en devenir des personnifications, ainsi que l’a exprimé une fois une facilitatrice à propos du projet de la Biodanza, qui ne serait « pas danser mais autre chose. [...] Ça se situe ailleurs, pas dans le mouvement mais dans l’expérience. Cet ailleurs, c’est toi, une expérience spéciale, la vivencielle8, qui laisse une trace dans ton être profond ».

28 De cette façon, à l’instar des performances rituelles en général (Humphrey & Laidlaw 1994), les actes « stipulés » des participants deviennent la source autonome de leurs pensées et ressentis. À certains égards, les états que ces personnifications engendrent dans le corps et l’esprit de chaque danseur convergent vers les qualités exemplaires qu’ils s’efforcent de manifester. Ils offrent alors des expériences immédiates et saisissantes de ce que serait, par exemple, la spontanéité, tout en faisant inévitablement émerger des sentiments dissonants ou incongrus en regard de ces valeurs exemplaires : perplexité, méfiance, attirance sexuelle, etc. En tant que pratiquant, on est constamment aux prises avec cette dynamique oscillatoire.

Les autres comme ressource

29 Les événements que nous avons décrits, de même que les énoncés que nous avons retranscrits, font apparaître un troisième ressort fondamental : l’Autre – des autres, un autre, ou le groupe comme entité. Ces pratiques ne se font jamais en solitaire, mais toujours collectivement, impliquant pour chaque danseur un ensemble d’autres, spectateurs et partenaires potentiels. L’importance de ces autres est visible, par exemple, dans le soin particulier et systématique, quasiment convenu, apporté aux remerciements mutuels. Dans le vestiaire ou en bord de piste, deux participants ayant vécu un partenariat spécialement intense vont ainsi se rapprocher l’un de l’autre, et se dire, en ces termes précis : « Merci pour la danse ». Selon les cas, ils se serrent longuement dans les bras, se tiennent les mains, ou restent à distance et mettent leurs mains sur leur cœur. Quelques commentaires peuvent suivre sur le caractère « inspirant », « énergisant » ou émouvant dudit moment. En Biodanza, il est courant que des personnes ayant dansé ensemble le temps d’une « proposition » se remercient de manière similaire (bien que sans parole) ; ils cherchent alors par la force du regard, par des gestes appuyés d’affection, par des ralentissements et des séparations qui s’étirent, à signifier l’intensité de l’expérience partagée et la gratitude que chacun ressent lors de cette « rencontre avec l’autre ».

30 La grande majorité de ceux qui participent à ces séances ne sont pas des étrangers. Il est toutefois significatif de constater qu’ils ne sont pas non plus des proches. Beaucoup ne se connaissent que de façon approximative. Les plus assidus peuvent en venir à connaître certains aspects superficiels de la vie des autres (leur prénom, l’endroit où ils vivent ou bien travaillent, leur profession, etc.), mais tous ou presque demeurent de simples connaissances en dehors des échanges intervenus pendant la séance. Lorsqu’ils dansent ensemble, les pratiquants donnent à voir aux autres des traits de personnalité et des réactions parfois intimes ; ils négocient leurs interactions, apprécient la façon qu’ont les uns ou les autres de se mouvoir, de toucher, d’établir un contact visuel, etc. Ils partagent aussi des moments qu’ils perçoivent comme précieux, pour lesquels ils se remercient avec empressement. Toutefois, comme si c’était une règle implicite, ils ne sympathisent et ne se rencontrent que rarement en dehors des séances elles-mêmes – exception faite du petit nombre de participants qui sont aussi membres de l’équipe de l’enseignant ou qui suivent ensemble un cursus de formation. Sandrine, par exemple, souligne son plaisir à danser avec des personnes déjà rencontrées au cours d’un stage aux échanges intenses, mais « refuse des discussions trop personnelles », ne voulant « pas vraiment créer de relation avec eux ». Comment expliquer ce mélange caractéristique de familiarité affichée et de mise à distance ?

31 À nos yeux, ce mode de socialité constitue la base de ces pratiques. Le but, rappelons-le, n’est pas de faire des rencontres amicales ou amoureuses, mais plutôt d’expérimenter, avec les autres participants de la séance, son aptitude à faire de telles rencontres, en dehors de la séance et avec d’autres personnes. Sur le plan du lien interpersonnel, notamment, les pratiquants cherchent à développer leur propre « potentiel », à « découvrir » ce qu’ils peuvent devenir. Comme on l’entend parfois au cours d’une séance de Biodanza, il s’agit bien d’« une rencontre avec soi par l’autre », ou de « se rencontrer avec quelqu’un » (nous soulignons). Il est donc déterminant que les autres participants de ces danses collectives soient des personnes avec lesquelles on se sente libre de ne pas avoir de relation. Avec elles seules, il est possible de vivre une proximité relationnelle « désencastrée » (disembedded) de son « contexte local » (Giddens 1991), c’est-à-dire des individus directement concernés. Ce vécu intime, ainsi disjoint de ses implications sociales habituelles, devient alors, théoriquement, mobilisable dans la vie privée de chacun.

32 L’Autre est mobilisé selon différentes modalités au cours de ces pratiques. Le groupe de danseurs en tant que tel intervient comme un appui solide, notamment dans les rondes et les cercles, que ceux-ci se forment joyeusement, en se tenant la main, ou de façon plus lente et serrée, hanche contre hanche. Grâce à ces autres qui forment une totalité mouvante, chacun peut ressentir de façon tactile et kinesthésique une harmonie avec quelque chose qui le dépasse. En témoignent les respirations profondes et les regards émus lorsque la ronde s’achève : cette unité semble d’autant plus magique qu’elle n’est ni chorégraphiée, ni réglée à l’avance. Le groupe comme inducteur de ressentis hors du commun apparaît également lorsqu’il ne s’agit plus d’une ronde ou de toute autre figure agencée, mais d’un simple amas d’individus. Une enseignante de 5 Rythmes, par exemple, propose de marcher dans la pièce, puis de donner corps à certains mots qu’elle lance : « accélérer », « contourner », « serrer », « s’éloigner », « glisser », etc. Guidé par ces indices, le groupe devient une sorte d’entité autonome qui permet à chacun d’éprouver la sensation d’une facilité et d’un plaisir à circuler parmi des êtres mouvants imprévisibles.

33 Les participants jouent aussi le rôle de « témoin » ou « soutien ». Comme l’explicite une des enseignantes : « J’ai des témoins autour de moi, je ne danse pas seul(e), et moi-même suis témoin de la danse, donc des expressions et émotions, des autres ». Les danseurs sont parfois séparés en deux groupes, l’un « témoin » et l’autre « danseur » : en Danse Médecine ou en 5 Rythmes, une moitié du groupe forme un cercle pendant que l’autre moitié danse au centre, avant que toutes deux n’échangent leurs rôles. En Biodanza, le groupe forme un cercle à l’intérieur duquel danse à tour de rôle un participant (ou plusieurs). Dans la proposition dite « de la base sécure », les participants se mettent par deux : l’un reste immobile au bord de la pièce et suit des yeux l’autre qui « s’aventure dans le monde » au centre. De temps à autre, ce dernier jette un regard vers son partenaire pour s’assurer qu’il est toujours là, ou revient se blottir dans ses bras avant de repartir dans la danse.

34 Les individus danseurs agissent aussi comme des inducteurs de mouvements nouveaux, de sensations et d’émotions les uns pour les autres. Une proposition intervenant couramment au début des séances de « méditations en mouvement » est centrée sur un jeu de pieds. Les participants sont d’abord amenés à porter toute leur attention sur la façon dont leurs pieds prennent appui sur le sol, puis, immanquablement, « ces deux pieds vont rencontrer deux autres pieds ». Valérie guide de la façon suivante : « Et je continue et je vais rejoindre une autre paire de pieds. Juste, fluide... sachez avec qui vous êtes ; sachez avec qui vous êtes puis partagez cette danse [...]. Donc une fois que vous avez fait un contact visuel avec votre partenaire, voilà lâchez [...] et commencez par les pieds. [...] Comment ils s’accordent, quatre pieds ensemble ? ». Les participants, après avoir peut-être échangé un regard pour acter l’interaction, ne cherchent plus les yeux de l’autre. Têtes baissées vers leurs pieds, tournées vers leurs mains ou une autre partie du corps de leur corps, ils vont jouer avec les infinies possibilités de cette proposition.

35 L’un des ressorts de ces danses à deux consiste à s’approprier un geste ou une façon de bouger de son partenaire. L’autre qui tente ainsi de m’imiter me renvoie l’image de mon propre mouvement, de mes attitudes : il les rend plus visibles pour moi-même et devient mon miroir. Il est également source d’inspiration, de dépassement de mes habitudes ou capacités ordinaires, ou encore la cible ou l’aiguillon d’un défi : « Ces autres pieds vont si vite, je dois les suivre, et même aller encore plus vite, voir s’ils suivent », semblent penser certains participants lancés dans une dynamique de surenchère, tantôt de rapidité, tantôt d’inventivité. Le jeu amuse immanquablement les partenaires, sans qu’ils aient besoin d’échanger un regard, générant un moment de complicité.

36 Dans la Biodanza, dont la devise est « la poétique de la rencontre », regarder l’autre dans les yeux au cours des interactions est d’une importance capitale – « chercher les regards », disent régulièrement les facilitateurs. Dans les coordinations dites « rythmique » et « mélodique », des personnes face-à-face, parfois se tenant les mains, se livrent à une danse commune que ni l’un ni l’autre ne dirige, mais qui doit émerger de leur interaction. La proposition emblématique de cette pratique, parfois explicitement qualifiée de « cérémonie rituelle », se nomme « la rencontre ». Il s’agit de circuler librement dans la pièce, sur une musique lente, jusqu’à entrer en relation avec quelqu’un, d’abord par une invitation des yeux (un « regard accueillant »), puis en se donnant les mains, puis par un contact plus ou moins appuyé selon les cas. Les danseurs restent ensemble un moment, puis se remercient silencieusement avant d’aller à la recherche d’autres partenaires. Comme l’explique une facilitatrice au préalable :

« On y fait une rencontre avec soi, une rencontre avec l’autre et une rencontre avec soi par l’autre ; [...] l’important est que nous expérimentons notre émotion et notre expressivité, notamment en bougeant le corps, mais surtout au travers de la rencontre avec d’autres. [...] L’idée est de rencontrer d’autres, et donc de sentir l’autre et se sentir soi-même au travers de l’autre. »

37 Dansées ou non, des interactions de ce genre, selon l’expression d’une pratiquante assidue, sont « confrontantes ». Toutefois, il s’agit avant tout d’une confrontation avec soi-même au moyen d’autrui : « par son regard, il va me renvoyer à moi-même en raison du fait que j’adopte ce qui me semble être son point de vue. [...]. L’autre n’est que toi-même, [...] un autre pour toi, [grâce auquel] je vais découvrir mes propres attentes ». Aussi les qualités intrinsèques du partenaire deviennent-elles comme subordonnées aux mises en perspective que celui-ci rend possible. Chacun, en explorant les possibilités qu’offre l’autre – sa corpulence, sa manière de se mouvoir, sa façon de soutenir le regard, d’exprimer ou non ses émotions, etc. –, peut expérimenter ses propres aptitudes relationnelles et ainsi découvrir de nouveaux aspects de lui-même.

38 Nous l’avons vu, dans le cadre de ces pratiques, les expériences corporelles et affectives qu’occasionne la danse en solitaire acquièrent une valeur et une efficacité spécifiques : elles apparaissent comme les personnifications de certaines qualités que les participants tiennent pour exemplaires – « spontanéité », « naturel », etc. De façon similaire, les interactions qui ont lieu consistent moins en la mise en place d’une relation interpersonnelle entre partenaires, qu’en la production par chacun d’eux, notamment grâce à l’autre, d’une personnification idéalisée de ce qu’une relation interpersonnelle se doit d’être : « authentique », « ouverte », « affectivement investie », etc. En d’autres termes, mon partenaire est avant tout un moyen me permettant d’expérimenter mes facultés à entrer en relation avec d’autres personnes. D’où l’impératif d’interagir avec une grande variété d’individus : danser toujours avec la même personne est fortement découragé et les participants sont incités à se déplacer pour trouver de nouveaux partenaires. Ces différents partenaires, avec leurs manières distinctives de danser, de sourire, de regarder, de toucher, etc., offrent autant de façons de s’éprouver.

39 Toutefois, si l’autre est une ressource pour soi-même, chacun l’est aussi pour d’autres, ce qui est aussi source de satisfaction. Plusieurs personnes ont exprimé ce que nous avons également pu ressentir : le plaisir de voir des émotions émerger d’une interaction, de voir apparaître un sourire sur le visage d’un partenaire qui était au départ mal à l’aise, etc. Être témoin, savoir que l’autre me prend pour témoin devient ainsi un moyen d’éprouver mes propres dispositions d’ouverture, de générosité et d’empathie envers d’autres personnes. Or le sentiment de bonheur qu’apporte le fait d’avoir pu agir de la sorte est d’autant plus fort qu’on ne connaît pas ces personnes par ailleurs. La visée de ces pratiques n’est pas de permettre aux participants de bâtir une relation interpersonnelle avec leurs co-pratiquants, mais de leur donner les moyens d’expérimenter, par l’intermédiaire de ceux-ci, leur aptitude à éprouver de tels sentiments et à agir de telle façon. Qu’un participant en mobilise d’autres comme des ressources à son service ou qu’il se mobilise comme ressource au service d’autrui, l’enjeu de toutes ces interactions réside moins dans la relation qu’il pourrait y avoir entre les pratiquants que dans la démonstration que chacun livre, à soi-même comme à l’autre, de sa « relationnabilité ».

  • 9 Citons à titre d’exemple le témoignage d’une participante à la séance de 5 Rythmes qui avait été m (...)

40Cependant, à un niveau plus englobant, d’ordre métacommunicationnel, la prise de conscience conjointe par des danseurs de leur « utilité » réciproque peut parfois donner lieu à ce qui ressemble à une véritable relation entre eux. Nous avons tous expérimenté, lors des remerciements en fin de séances ou après des « rencontres », notamment, une reconnaissance du rôle instrumental que chacun accepte de jouer pour l’autre. Cette appréciation mutuelle, à la fois complice et éminemment réflexive, comporte très peu de la familiarité normative, exhibée et distanciée qui caractérise la plupart des interactions ayant lieu au cours de ces séances. C’est qu’en l’occurrence, les participants ne se livrent plus à une personnification de ce qu’une relation inter- personnelle est censée être, mais s’impliquent individuellement dans une connexion interpersonnelle effective. Toutefois, si les liens qui se forgent entre pratiquants lors de ces moments ont toutes les qualités de ceux qu’entretiennent des personnes dans la vie courante – engagement intentionnel et affectif, négociation ouverte, responsabilité des parties, adaptabilité, etc. –, il s’agit de relations d’un type spécial : ce sont des relations rituelles. D’un côté, elles émergent de conditions d’interaction radicalement différentes et autrement plus contraignantes que celles qui président à la familiarité habituelle. De l’autre, même si elles peuvent se prolonger dans la vie quotidienne au fil du temps (notamment chez ceux qui dansent souvent ensemble ou qui poursuivent un même cursus de formation), elles demeurent indissociables des pratiques particulières dans lesquelles elles prennent forme. Les sentiments et attitudes qui en découlent ne sont pas plus ou moins « vrais » ou « réels » que ceux d’autres relations forgées au cours d’autres activités cérémonielles, comme la solidarité indéfectible qui unit des personnes ayant enduré une initiation, ou la douleur réverbérante que peuvent partager ceux qui assistent ensemble à des funérailles, ou encore l’enchantement insouciant que peuvent éprouver les invités d’un mariage. Simplement, ces émotions et intentionnalités, et les relations auxquelles elles sont corrélées, restent distinctives. Elles ne se confondent pas avec celles de la vie ordinaire. Plus précisément, à l’instar des relations rituelles en général, les liens qui se créent de cette façon entre co-danseurs, de même que le sentiment de communauté d’expérience qui peut en émerger9, représentent moins un modèle pour les interactions quotidiennes des pratiquants qu’une référence vécue, particulièrement synthétique, pour certaines idées et valeurs (« authenticité, « spontanéité », etc.) à l’aune desquelles ces interactions peuvent être conventionnellement (ré)évaluées.*

41 Selon les témoignages qu’ils en donnent, la majorité des pratiquants sont « transformés » par ces danses collectives – cela devient d’autant plus affirmatif lorsqu’ils sont assidus, et plus encore lorsqu’ils suivent une formation pour devenir enseignants, même si la plupart d’entre eux n’exercent jamais cette fonction par la suite. De quelle transformation s’agit-il ?
Conformément à l’impératif d’autoréalisation caractéristique des sociétés occidentales contemporaines, inspirés par les propos des pratiquants ainsi que par notre propre participation, nous proposons d’y voir l’expérience d’une renaissance à soi-même : la (re)découverte d’une identité individuelle qui, d’un côté, n’aurait jamais cessé d’être présente en potentiel dans le corps sensible et qui, de l’autre, serait perpétuellement en devenir comme un moyen personnel d’accéder au monde. Nous avons qualifié ces pratiques de « rituelles » dans la mesure où les réalités qu’elles mettent en forme et en acte – le « soi authentique », ses dispositions emblématiques, leur expression spontanée et créative, la « rencontre » sur de telles bases avec soi-même et avec l’autre, etc. – procèdent d’un engagement des participants dans des activités qui obéissent à des injonctions (verbales et autres) et dont la nature exacte doit leur rester partiellement impénétrable. Toutefois, ces danses collectives se distinguent des démarches cérémonielles généralement associées au motif de la renaissance que sont les rites de passage. Ces derniers opèrent une métamorphose exceptionnelle, médiatisant le passage durable d’une condition ou d’un statut social à un autre. Comportant le franchissement obligé d’une phase liminale extraordinaire et fertile d’ambivalences, ils instituent une discontinuité entre des points de départ et des points d’arrivée bien définis. Or les pratiques étudiées ici présentent un profil bien différent. Tout d’abord, la transformation qu’elles occasionnent n’est pas sociale, mais se veut intérieure. Elle se rapporte à la mise en évidence conventionnelle de sensibilités archétypales (idéalisées). En outre, elle intervient de façon répétée, inscrivant l’individu dans un processus continu de mise en perspective réflexive qui se doit de devenir un aspect constitutif de sa vie quotidienne. En somme, dans la mise en présence réitérée de soi-même à laquelle se livrent les danseurs, il s’agit moins de renaître une fois pour toutes à un soi véritable que de se sentir porté par une dynamique d’auto-engendrement sans limites. Ainsi, pourrait-on dire, les pratiquants ne cessent d’accoucher d’eux-mêmes afin de faire de leur existence une phase liminale perpétuelle, chargée d’incertitudes mais ouverte à d’inépuisables richesses.

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Notes

1 Les citations de ce paragraphe et du suivant sont issues de sites Internet et flyers afférents à ces pratiques ; elles sont souvent extraites des ouvrages de leurs fondateurs ou promoteurs (Toro 2006 ; Watts 2006 ; Roth 1997 ; Darling Khan & Darling Khan 2009).

2 Une séance hebdomadaire coûte entre 15 et 20 euros. Pour la Biodanza par exemple, la participation régulière au même petit groupe est encouragée, tandis que dans d’autres cas (5 Rythmes ou Danse Médecine), le groupe est plus important, avec une présence plus variable d’une séance à l’autre. Les participants ont en moyenne 40 ans ; en très grande majorité caucasiens, environ 75 % d’entre eux sont des femmes – proportion variant toutefois selon les pratiques et les enseignants. Les pratiquants appartiennent pour beaucoup aux métiers du soin et de l’enseignement, mais d’autres profils sont présents. Les danseurs professionnels ou en formation sont très peu représentés.

3 La Danse des 5 Rythmes, par exemple, repose sur une structure relativement contrainte constituée d’une succession de cinq rythmes musicaux – « fluide », « staccato », « chaos », « lyrique » et « quiétude » –, chacun étant associé à un ensemble de qualités et symboles (Roth 1997).

4 Cette tendance à faire valoir, en discours et en actes, le caractère exceptionnel du vécu suscité par ces pratiques, constitue, pour nous, leur seule conséquence avérée et clairement partagée. Cet « effet » est dans le même temps, pour ceux qui en sont les témoins, la principale « cause » de leur venue à ces danses.

5 Notre travail de terrain, débuté en octobre 2014, consiste pour l’essentiel en la participation à un peu moins de deux cents séances de différentes danses collectives, principalement en région parisienne. Cette recherche a été financée en grande partie par le projet « Reassembling Democracy: Ritual as Cultural Resource » (REDO) de l’université d’Oslo. Nous avons bénéficié des remarques des participants du workshop REDO (Rosay, 23 - 26 avril 2015), de ceux des ateliers « La danse comme objet anthropologique » (Ivry) et « Nouvelles formes de médiation relationnelle » (Paris), d’Arnaud Halloy, Georgiana Wierre-Gore et Theo Wildecroft, de la rédaction de la revue ainsi que de deux lecteurs anonymes. Nous les remercions vivement. Notre gratitude va également aux enseignants, facilitateurs et participants qui nous ont accueillis avec bienveillance et enthousiasme.

6 Les citations de ce paragraphe sont extraites de la séance de Danse Médecine « Naître à 2016 » du 3 janvier 2016 à Paris.

7 De temps à autre cependant, de rares danseurs cherchent à explorer et développer leur créativité artistique. Leurs mouvements se distinguent alors des motifs les plus courants ; ils se déplacent, par exemple, à grandes et rapides enjambées sur une musique lente. De ce fait, ces individus en quête d’un progrès en danse scénique s’intègrent moins aux partenariats spontanés ou prescrits. De même, les couples qui dansent presque exclusivement ensemble rompent le flux collectif, et sont donc rapidement marginalisés.

8 Terme inspiré de l’espagnol vivencia, qui désigne, selon la terminologie de la Biodanza, les séances de pratique tout comme des moments où l’on vit plus intensément.

9 Citons à titre d’exemple le témoignage d’une participante à la séance de 5 Rythmes qui avait été maintenue, le 15 novembre 2015, moins de 48 heures après les attentats de Paris : « Je n’ai pas envie de danser, mais c’était important d’être là avec vous ». La facilitatrice a renchéri : « il n’y a aucune obligation, aucune injonction à être triste ou à danser, soyons juste réunis, ensemble ». Lorsqu’en fin de séance, elle a demandé aux participants de se regrouper en amas très serré au centre de la pièce, elle a souligné que spécialement ce jour-là, il fallait « se méfier du côté “moi, moi, moi”, du développement personnel », et ne pas oublier « l’être ensemble primordial ».

Référence papier

Michael Houseman, Marie Mazzella di Bosco et Emmanuel Thibault, « Renaître à soi-même »,Terrain, 66 | 2016, 62-85.

Référence électronique

Michael Houseman, Marie Mazzella di Bosco et Emmanuel Thibault, « Renaître à soi-même », Terrain [En ligne], 66 | octobre 2016,

URL : http://terrain.revues.org/15974 ; DOI : 10.4000/terrain.15974

Auteurs

Michael Houseman École pratique des hautes études

Voir aussi : https://NotAllowedScript661ed6e5a829avimeo.com/221262005

Marie Mazzella di Bosco  Université Paris Nanterre

Emmanuel Thibault Chercheur indépendant

 

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Le langage cosmique
De l'illusion désirante à l'illusion délirante
 

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