Joëlle Maurel, Docteur en Sciences de l’éducation ; psychothérapeute, formée aux approches psychanalytiques, à la psychogénéalogie, aux constellations familiales, à l’EFT, l’EMDR, aux techniques psychocorporelles, au massage, à la relaxation et au Reiki ; spécialiste des états modifiés de la conscience, du rêve éveillé et de l’analyse des rêves ; diplômée de l’Institut de Psychologie Transpersonnelle à Paris ; professeur de yoga diplômé de l’Ecole Internationale de Yoga Traditionnel, professeur de Qi Gong diplômé de l’Institut Traditionnel d’Enseignement du Qi Gong. Auteur du livre « S’autoriser à Cheminer vers soi, Aurobindo, Jung, Krishnamurti », Editions Trédaniel, de « l’expérience noétique », dans l’ouvrage collectif « connaissance de soi, Editions Altess, du crayon égaré, Editions Edite-moi et de nombreux articles
Se libérer du connu c’est mourir, et alors on vit. (Krishnamurti)
Bien des traditions spirituelles parlent de « renaissance », de « résurrection » ou d’une deuxième naissance pour évoquer ceux qui sont parvenus à ce que ces mêmes traditions nomment l’éveil spirituel. Mais qu’est-ce que cet éveil spirituel après lequel bien des adeptes du nouvel âge ou de la spiritualité courent comme après la promesse d’une vie nouvelle et qui fait de l’homme « un deux fois né », un « éveillé » ?
Bien des personnes s’épuisent à courir ainsi toute leur vie après quelque chose qu’elles cherchent désespérément à l’extérieur d’elles-mêmes et qui, finalement, se trouve à l’intérieur de soi, car pour s’éveiller de l’ignorance et re-naître il faut d’abord se co-naître. En effet, le long chemin de la connaissance de soi1 conduit à la mort de toutes nos croyances, illusions, préjugés, conditionnements ; ce cheminement nous mène devant le réel dissimulé derrière la réalité à laquelle nous sommes attachés, à laquelle nous croyons mais qui soudain se révèle illusoire. Ce chemin de la connaissance de soi nous conduit devant l’abîme, le renoncement à tout ce en quoi on croyait et qui nous constituait et il s’agit bien d’une confrontation avec la mort avant de re-naître dans le sens de s’éveiller à la conscience et la lumière du divin qui réside au plus profond de nous-mêmes, libres de tous conditionnements, libérés du connu.
Il s’agit d’un processus intérieur correspondant symboliquement au long chemin de croix de Jésus, à sa longue agonie avant de s’éveiller à une vie nouvelle reliée à la vie de l’Esprit, que nous appelons Dieu, et qui n’est autre que le principe de l’énergie sacrée de la vie et de la lumière caché au fond de notre âme, complètement dissimulé par l’agitation de nos pensées et de notre mental.
Jésus est le modèle archétypal type de la réalisation la plus haute. Voyons comment la vie de Jésus peut nous enseigner quelque chose au niveau du processus de mort/renaissance conduisant à l'éveil de la conscience la plus haute en nous appuyant sur l’Evangile de Jean.
Jean présente son évangile comme une révélation de l'existence et met le message de Jésus en relation avec l'aspiration la plus profonde de l'homme : le désir de vivre. Or, "Les personnages qui rencontrent Jésus, dans l'évangile de Jean, sont en quête de vie, de plus de vie"2. Cette quête de vie, ce plus de vie, ce désir profond de réalisation de la vie est au coeur même de cette réflexion sur la possibilité d’une nouvelle naissance. En effet, tout être a soif d'une vie qui soit plus pleine, plus libre et remplie de paix, de joie et d'amour.
Comment l’homme peut-il parvenir à la réalisation d’une vie épanouie ? Pour Jésus, l'homme n'a pas d'autre outil pour cette réalisation que son coeur de chair, avec son désir immense de vie. Ainsi, au fil de l'évangile de Jean, Jésus rencontre des hommes et des femmes souffrant du désir de mieux vivre et qu'il aide à cheminer vers une vie qui est aussi lumière. Il apparaît comme un éducateur du désir au sens où "Il le suscite, puis le délivre de son archaïsme, l'arrache à sa nuit, à ses étroitesses, à ses ambiguïtés, enfin l'ouvre à la lumière en le dilatant à l'infini"3. C'est bien évidement à travers de grandes images symboliques, la plupart empruntées au Livre de l'Exode, que l'évangile de Jean tente de nous guider dans ce cheminement vers la mort et la re-naissance. Cheminement des images que nous allons suivre pas à pas afin de mieux les comprendre.
Pour Saint-Jean, l'amour est au commencement de tout et il porte toutes les choses vers leur accomplissement. "Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut..."4. La vie a un sens, et le désir de trouver ce sens n'est pas un rêve ; il est ce qui mène l'homme vers sa réalisation. Jésus, dans l'évangile de Jean, apparaît surtout comme un homme rencontrant d'autres hommes et chaque rencontre semble illustrer un moment du cheminement intérieur vers la réalisation de soi5 et le processus de mort-renaissance auquel cela conduit..
Jésus rencontre d'abord deux disciples de Jean remplis du désir qui les guide vers le chemin de la réalisation ; lorsqu'ils lui demandent où il demeure, il leur répond : "venez et voyez". Cette phrase simple semble indiquer non pas qu'ils doivent le suivre, mais qu'ils doivent venir vers lui et chercher. Venir vers le Christ au niveau symbolique, c'est s'ouvrir à la réalité intime de l'être, c'est entrer en relation avec ce symbole "vivant", pour retrouver l’énergie active et créatrice qui réside au plus profond de nous-mêmes.
Ensuite, lors d'un mariage dans un village, il n'y a plus de vin et Marie demande à Jésus de faire quelque chose. Jésus change alors l'eau en vin afin que tous puissent être gais. Pourtant, avant d'accomplir cela, il dit à sa mère : "Qu'y a-t-il entre moi et toi, femme ?" Cette surprenante réponse semble indiquer qu'il doit cheminer seul et que nul ne doit lui indiquer la route si ce n'est son guide intérieur, Dieu en lui ou ce que nous nommons l'énergie active et créatrice en lui-même. C'est en prenant seul la décision de cheminer vers lui-même, de s'ouvrir à lui-même, que l'homme peut transformer l'eau en vin, c'est-à-dire transformer sa vie. Il y a aussi ici l'idée d'une création de soi, car transformer sa vie, c'est la créer différente. En cheminant seul, c'est-à-dire en se libérant d'une certaine manière de ce que les autres, et même nos propres parents, nous demandent de faire et en prenant seul la décision de nos actes, nous transgressons l'autorité pour pénétrer dans l'autorisation de créer, au sens de transformer notre vie. Cette transformation annonce une re-naissance de l'être.
Nicodème est un notable juif qui est Docteur de la Loi et "il vint de nuit trouver Jésus"6. Cet homme est un érudit qui possède la connaissance des écritures et qui enseigne, mais il vient vers Jésus parce qu'il doute et pressent que le message de Jésus est important. La symbolique est ici très intéressante : l'homme qui possède l'érudition, la connaissance conceptuelle mais qui reste cependant un homme de désir, peut aussi être en quête de vérité, de lumière, d'une connaissance autre : il vient alors vers Jésus, c'est-à-dire qu'il s'ouvre au cheminement intérieur menant à la transformation. Pour cela, il transgresse l'autorité, les croyances reçues et vient de nuit écouter le Maître. Le symbole de la nuit représente souvent l'image des ténèbres en l'homme ; le cheminement de l'homme est de passer de la nuit à la lumière, de naître à la lumière. Jésus comprend la quête intérieure de cet homme de voir la lumière et le règne de Dieu. Il lui répond "En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Car ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas, si je t'ai dit : il vous faut naître d'en haut..."7. Ici, il ne s'agit plus de connaître au sens d’acquérir davantage de connaissances, il s'agit de naître d'en haut pour co-naître. Pour passer de la nuit humaine à la lumière de Dieu, il ne suffit pas de progresser dans le savoir, il faut vivre une nouvelle naissance faite d'eau et d'Esprit. L'eau, pour qu'elle fasse vivre et devienne symbole de vie et de naissance, doit être fécondée par l'Esprit, c'est-à-dire le souffle d’une réalité plus haute. L'union de l'eau et de l'Esprit symbolise un renouvellement profond, une nouvelle naissance, une création. Jésus dit aussi que ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l'Esprit est Esprit. Il indique ici, que l'homme vivant est né de la chair et qu'il ne peut renier son corps de chair, mais il doit aussi naître de l'Esprit pour se réaliser pleinement. Ainsi, naître d'en haut, ce n'est pas rejeter la vie sensible car la vie d'en haut suppose la vie d'en bas, c'est-à-dire notre corps fait de désirs, de passions, de pulsions. Mais pour naître d'en haut, il faut le souffle de l'Esprit, il faut qu'il pénètre jusqu'au plus profond des racines du désir de notre corps de chair pour renouveler l'homme tout entier. Naître à la vie divine, c'est se laisser transfigurer par l'Esprit. Et Nicodème rempli du désir de naître d'en haut demanda à Jésus comment cela pouvait-il se produire. A cette question, Jésus répondit : "Nul homme n'est monté au ciel sinon celui qui en est descendu, le Fils de l'homme"8. Nous voyons ici que si nul ne peut s'élever jusqu'à Dieu, Dieu peut descendre vers l'homme. Jésus révèle à Nicodème le grand secret de la nouvelle naissance de l'homme à la vie divine passant par la venue en sa chair de cette vie cachée. Jésus est le symbole vivant de cette manifestation de l'Esprit au coeur de l'homme, de cette nouvelle naissance. Ainsi, la vie divine n'est pas à chercher dans un au-delà inaccessible où nul ne peut aller, elle est au coeur même du monde et de l'homme et c'est dans l'instant qu'il est possible de naître à la vie de l'Esprit. Pour cela, il faut s'ouvrir intérieurement à une réalité qui nous dépasse et qui nous met en mouvement vers notre être authentique.
L'homme qui s'ouvre à cette réalité, qui à la foi en une réalité plus haute, voit se dévoiler le secret de son être et du sens de la vie. L'homme doit d'abord s'intérioriser, s'ouvrir à lui-même puis au désir d'une transformation et d’une connaissance intérieures qui le mènent à une re-naissance. En tournant son regard vers la vie intérieure, il pénètre dans des eaux profondes de l’inconscient qui peuvent donner la vie, si elles sont fécondées par l'Esprit, mais qui peuvent aussi donner la mort si on s'y perd. En effet, la confrontation avec ce qui est inconnu, la traversé des eaux de l’inconscient peut être dangereuse et elle peut engloutir la conscience de l'individu qui peut être aveuglé par la lumière ou fasciné par les ténèbres.
Jésus, pour se rendre de Judée en Galilée, traverse la Samarie. C’est une région intermédiaire entre ces deux contrées. Pour les Juifs, c’est un endroit à éviter car les Samaritains sont considérés comme des gens peu fréquentables, dissidents et pires que des païens. Alors que ses disciples vont à la ville acheter de la nourriture, Jésus se repose, assoiffé, près d'un puits. Une femme arrive et il lui demande de lui donner à boire. La femme est très étonnée par cette demande et s'écrie : "comment ! Tu es Juif et tu me demandes à boire, à moi qui suis une femme samaritaine !"9. Cette rencontre entre un homme et une femme appartenant à deux peuples qui se détestent et qui semblent opposés10, illustre de manière symbolique les extrêmes, les conflits à l'intérieur de l'âme humaine. Cela montre également notre identification à une culture, un pays, menant aux opinions que l'on porte sur les autres que l'on juge différents et parfois inférieurs à nous. En cheminant vers la lumière, l'homme se confronte à son inconscient11. Après les lumières de l'esprit au moment de la re-naissance, l'homme doit se confronter aussi à ses passions les plus vives, à tout ce qui le divise, le fragmente et le fait souffrir. Nous voyons que pour effectuer cette rencontre avec ses passions, ses conditionnements les plus profonds, Jésus doit aller dans une région intermédiaire et non aimée des hommes de son peuple. Cette région intermédiaire est une région de l'inconscient au sein de laquelle l'homme doit regarder et se confronter à ce qu'il n'aime pas en lui ou à ce qu'il ne connaît pas de lui-même. C'est une rencontre avec des zones d'ombre que l’on ne souhaite pas voir car elles sont jugées mauvaises. Afin d'ouvrir cette femme à la connaissance intérieure, Jésus lui dit : "Quiconque boit de cette eau (tirée du puits) aura soif à nouveau ; mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissante en vie éternelle"12. Elle lui parle alors de sa vie secrète, de ses amours tourmentés et instables, de ses échecs. Jésus tente d'enseigner à la Samaritaine que les passions auxquelles nous nous attachons nous entraînent dans l'enchaînement de la répétition et, qu'au-delà de la façade de nous-mêmes que nous montrons au monde, se cachent de grandes blessures que l'on tente de dissimuler et qui sont la preuve d'une quête intérieure inconsciente d'absolu, qu'aucune relation humaine n'a pu combler. La rencontre de Jésus avec la Samaritaine illustre la rencontre avec l'anima13, c'est-à-dire l'opposé complet de ce qu'il présente au monde : Il est un homme authentique, d'une grande rigueur, d'une grande connaissance, un enseignant possédant la lumière ; elle est ignorante et insouciante, menant une vie dissolue, et cela représente les deux faces d'une même réalité humaine. En effet tout homme est fait de lumière et d’ombre. Il essaye de lui dire que sans cesse, nous reproduisons les mêmes erreurs à travers nos passions pour tenter de les assouvir et que cela nous déchire et nous blesse sans jamais apaiser pleinement notre soif d'absolu. Ainsi l'eau du puits qui n'étanche pas la soif, est le symbole de notre errance passionnelle pour trouver l'absolu et de notre erreur. Il propose une eau apaisante et éternelle à l'intérieur de nous-mêmes. Cependant, pour accéder à cette source jaillissante au plus profond de nous-mêmes, il faut éveiller un autre type de désir : le désir qui nous conduira vers un changement de chemin nous permettant de comprendre nos fonctionnements erronés, sans cesse recommencés et de les dépasser par une connaissance profonde de nous-mêmes. Jésus dit encore : "Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père...Les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité"14. Ce qu'il tente de signifier ici, c'est que si nous parvenons à dépasser nos passions et à éveiller le désir profond de connaissance de soi tout en acceptant de nous soumettre à une réalité plus haute et qui nous dépasse, notre coeur s'ouvrira à la connaissance et à la vérité de l'amour universel, de notre appartenance au tout, au monde, au-delà de toutes les croyances, de toutes les fragmentations et de tous les préjugés. "L'adoration en Esprit et en vérité qui s'élève au-dessus de tous les particularismes, de toutes les barrières dressées par l'histoire et qui se refuse à enfermer Dieu dans un dogme, cette adoration-là est un sommet où l'homme découvre que sa véritable patrie est Esprit. Ce sommet n'est pas à chercher ici ou là. La "colline inspirée", le lieu où souffle l'Esprit, est au cœur même de l'homme"15. Il nous faut donc dépasser les conditionnements, être dissidents, cheminer seuls et non sans conflits, afin de découvrir, cachées au fond de notre cœur, la lumière et la connaissance de l'amour qui ouvrent à une conscience universelle. Le coeur de l'homme s'ouvre, l'homme s'ouvre à l'amour et il comprend... Après avoir dépassé ses conflits passionnels, ses névroses, ses conditionnements, il commence à accéder au sens de son existence et de sa mission sur la terre : transmettre aux autres hommes le chemin de la vie, de l'amour et de cette conscience universelle.
Jésus rencontre aussi la foule qui vient à lui et à qui il dit "vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l'homme, car c'est lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau"16. Ici, Jésus devient un éducateur, un maître qui accompagne et guide. Les hommes viennent vers lui parce qu'ils pressentent qu'il peut les aider à trouver ce qu'ils cherchent : le bonheur, la liberté, l'amour. Ils viennent parce que Jésus rayonne de ce bonheur, de cette liberté et de cet amour et qu'il les donne. Il peut donner, guider parce qu'il a lui-même suivi le chemin de la connaissance et qu'il connaît les épreuves, les dangers de la traversée. Alors, il tente de faire comprendre à ces hommes et à ces femmes, que le désir d’une vie épanouie ne doit pas s'arrêter à notre satisfaction matérielle, pulsionnelle, car ce type de satisfaction est éphémère. Pour que l'homme progresse vers une force de lumière intérieure qui le guide et le mène vers la plénitude de la vie à travers l'amour inconditionnel il doit cheminer vers un désir plus élevé. "Il y a donc, dans l'être humain, un dynamisme, un élan incommensurable, une capacité d'accueil infinie, qui se traduisent par une soif et une ardeur de vivre que rien de fini ne peut apaiser, et qui font de l'homme un être tourmenté, inachevé, tant que l'"oeuvre de Dieu" en lui n'est pas accomplie"17. Le sens de la vie humaine est le désir de se dépasser, de transcender les limites de sa conscience personnelle pour accéder à une conscience plus haute, sans limite, permettant d'entrer en contact avec ce que l'on nomme Dieu. Pour cela, il possède une force intérieure, une énergie qu'il doit libérer des illusions et des croyances en s'ouvrant à lui-même. L'homme a une mission sur la terre, celle de sa réalisation la plus achevée ; pour mener à bien cette élévation de sa conscience, il doit s'abandonner à la foi, se mettre à l'écoute de son désir profond d'absolu et de vie authentique. Sa foi en la force de l'Esprit qui le guide, son travail de connaissance de lui-même ne le conduiront pas vers une fuite illusoire dans la lumière, mais ils lui permettront de conscientiser sa chair, de sublimer ses désirs, de réunir le plus spirituel et le plus terrestre en lui.
L'évangile de Jean semble réunir ces deux parties de l'homme : le corps et l'Esprit par l'intermédiaire de l'âme (la psyché), puisque "le Verbe s'est fait chair". A ce niveau de son cheminement, l'homme doit s'abandonner complètement à sa foi, se laisser guider par elle, se préparer à mourir symboliquement pour réunir tous les opposés en lui-même et renaître pleinement à la vie. Il doit, tout comme Jésus, pouvoir dire aux hommes "Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle"18. Il faut, en effet, être capable de se donner totalement, donner sa chair et son sang, mourir, pour s'ouvrir à une vie qui accepte le renoncement, le détachement, le don de soi et qui, dans la mort, se fait puissance de résurrection. "Or ce que Jésus vient offrir aux hommes, c'est vraiment la plénitude de la vie. Une plénitude où les forces obscures de la passion et du désir trouvent elles-mêmes leur chemin vers la lumière de l'Esprit. Une plénitude où celui qui se perd entier est donné à lui-même"19. Mais pour que cela puisse se réaliser, pour que l'homme puisse vivre cette expérience intérieure, il doit s'abandonner complètement à la force d'en haut ; alors son coeur peut encore s'élargir, s'ouvrir et il peut comprendre le sens de sa mission sur la terre. L'homme se trouve ici devant un choix : accepter la lumière ou la refuser, s'abandonner complètement à elle ou non, tout en sachant que cet abandon exige un sacrifice, une mise à mort de l'ego, de ce qui dit "Je" en nous-mêmes. Le seul moyen d'apporter la lumière au plus profond de nos racines charnelles les plus archaïques et les plus instinctives pour éclairer les ténèbres, c'est d'ouvrir les yeux et de les regarder sans peur, avec une confiance totale en l'Esprit qui nous guide. La rencontre de Jésus avec l'aveugle illustre symboliquement cette ouverture de nos yeux sur ce que nous ne voulions pas voir : l'horreur humaine, les ténèbres de toute l'humanité, puis la compréhension que la lumière peut dissoudre les ténèbres.
Dans le mythe du Christ, le symbolisme de la croix illustre la réunification des contraires. Dans le cheminement vers la connaissance de soi, il y a tout un travail de reconnaissance et d’acceptation des extrêmes en l’être humain, menant à la réunification des opposés. Ainsi, Jésus sur la croix est le symbole vivant de celui qui souffre lors du cheminement vers sa pleine réalisation d’être au monde. Il est placé au centre de la croix, car c’est au centre que se trouve l’équilibre de cette réunification. La mort et le sacrifice de Jésus ont une signification assez simple : le processus intérieur d’ouverture et de reliance à une conscience plus haute exige la mort de l’ego, c’est-à-dire l’arrêt de notre identification à notre corps, à notre « Je », pour d'accéder à la totalité de l'être : corps/âme/esprit. L’homme doit sacrifier ce qu’il croit être pour accéder à l’équilibre et à la connaissance. Nous retrouvons cela dans presque toutes les traditions spirituelles : bouddhisme, hindouisme, chamanisme, etc… Ainsi, Jésus qui agonise sur la croix est le symbole des souffrances que l’homme doit accepter pour parvenir à la mort de l’ego et à la spiritualité. La spiritualité signifie ici la fin de la dualité intérieure et l’accès à l’uni-dualité, c’est-à-dire à ce que les religions orientales nomment le Soi et que le Christianisme nomme Dieu. Faire l’expérience de Dieu, au sens où l’on est relié à cette énergie, c’est transcender l’ego, c’est mourir à soi-même pour devenir autre. Et cette mort ne peut pas se faire sans que le cœur ne verse des larmes de sang.
Le chemin de croix de Jésus nous montre combien la route est longue et douloureuse, avec des chutes et des difficultés pour avancer. Ceci nous indique les résistances du conscient à explorer notre monde intérieur pour dépasser nos croyances, nos illusions, nos préjugés.
A partir de cet archétype, qui est l’illustration symbolique du processus de réalisation de Soi, processus d’ouverture de sa conscience personnelle à la conscience universelle, nous pouvons également donner une explication à la résurrection illustrée par Jean dans le retour à la vie de Lazare. La résurrection dans un corps de chair, semblable à celui de notre vivant, serait la mort/renaissance dont nous faisons l’expérience lorsque nous vivons cette transformation intérieure. Lorsque nous avons exploré notre inconscient, que nous nous sommes confrontés à lui, que nous sommes allés très loin sur ce chemin de croix et que nous acceptons le sacrifice du Moi, c’est-à-dire de l’ego, alors nous mourons symboliquement après une longue agonie, et, lorsque la réunification des contraires se produit en nous-mêmes, alors nous renaissons transformés et nous transcendons l’expérience de la dualité et de la totalité. Nous sommes toujours les mêmes, avec le même corps physique, mais dans le même temps, nous ne sommes plus les mêmes : une autre personne est née. En Inde, on appelle les personnes qui font cette expérience spirituelle « les deux fois nées », ce qui correspond à la même symbolique. Dans cette renaissance, qui exige auparavant la mise à mort, le sacrifice du Moi (ego), l’homme fait l’expérience de Dieu au sens de la conscience cosmique. Il découvre intérieurement qu’il n’est pas cet être isolé et divisé, mais qu’il est la totalité du monde ; pour reprendre les paroles de Krishnamurti, il devient le monde et le monde est lui sans séparation. Cette expérience provoque une telle foi en la vie qu’il sait désormais qu’il est immortel puisque son âme est reliée à ce tout cosmique auquel il appartient et auquel il retournera à la mort physique. Ainsi, la résurrection dont les chrétiens parlent n’est pas quelque chose qu’il faille attendre, c’est quelque chose à réaliser pendant la vie, comme Jésus l’a fait lui-même. Peu importe de savoir si l’homme Jésus est mort ou non sur cette croix, car bien des textes apocryphes semblent prétendre que non ; ce qui importe, c’est l’enseignement de ce mythe, ce qu’il tente de nous dire depuis deux millénaires et que l'Église a souvent interprété différemment, peut-être par ignorance, ou simplement parce qu’éduquer les hommes à une telle transcendance les ouvrirait à une vie nouvelle : libres et moins manipulables.
Après la mort symbolique, l'homme est accompli, réalisé, considéré comme un envoyé de Dieu. Sa mission est d'éduquer les autres hommes et de leur transmettre son expérience intérieure. Il reste cependant un homme comme les autres, dont la personnalité ne s'est pas dissoute dans la conscience cosmique et qui continue de vivre parmi les hommes.
Joëlle Maurel
1 Joëlle Macrez-Maurel, S’autoriser à cheminer vers soi, 2004, Ed. Véga
2 J. Zumstein, L'apprentissage de la foi, 1993, Suisse, Éditions du Moulin, p. 94.
3 Eloi Leclerc, Le maître du désir, Une lecture de l'évangile de Jean, 1997, Paris, Éditions Desclée de Brouwer, p. 15.
4 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 1, verset 3.
5 Voir aussi le travail de F. Dolto, l'évangile au risque de la psychanalyse, et la foi au risque de la psychanalyse, Paris, 1981, Ed. Seuil.
6 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 3, versets 1-2.
7 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 3, Versets 5-7.
8 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 3, Verset 13.
9 Eloi Leclerc, Op. Cit., pp. 58-59.
10 Notons que ces deux peuples possédaient en commun les cinq premiers livres de la Bible et qu’ils croyaient au même Dieu, mais il existait entre eux une haine réciproque, historique. Humainement et culturellement les Samaritains étaient des métis juifs-assyriens-babyloniens.
11 Françoise Dolto a essayé de montrer les convergences entre le cheminement spirituel et la psychanalyse et a rapproché le concept d’inconscient propre à la psychanalyse de celui de vie intérieure propre à la théologie. Françoise Dolto, et Gérard Séverin, L'évangile au risque de la psychanalyse, Paris, 1977, Editions Universitaires. Tomes 1 et 2 et La foi au risque de la psychanalyse, Paris, 1981, Editions Universitaires.
12 Eloi Leclerc, Op. Cit., p. 61.
13 Dans la psychologie jungienne le concept d’anima correspond à la personnification de la nature féminine de l’inconscient de l’homme. Pour Jung, la fonction naturelle de l’anima consiste à établir une relation entre la conscience individuelle et la conscience collective
14 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 4, Versets 21-24).
15 Eloi Leclerc,Op. Cit., p. 65.
16 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 6, Versets 26-27.
17 Eloi Leclerc, Op. Cit., p. 75.
18 Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 6, Versets 53-55.
19 Eloi Leclerc, Op. Cit. p. 85.
Source : PDF.
Voir aussi : http://joelle.maurel.pagesperso-orange.fr/quisuisje.html
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