Quelle est donc alors la Loi du Devoir ?

Elle varie avec chaque stade de l'évolution, bien que le principe en soit toujours le même ; elle est progressive comme l'évolution elle-même. Le devoir du sauvage n'est pas le même que celui de l'homme cultivé et évolué.

Le devoir de l'instructeur n'est pas celui du roi. Le devoir du marchand n'est pas celui du guerrier.

De sorte que, lorsque nous étudions la Loi du Devoir, nous devons commencer par étudier notre propre place sur la grande échelle de l'évolution, ainsi que les circonstances qui nous entourent et qui nous montrent notre karma, nous rendant compte ainsi de nos propres moyens, de nos capacités et de notre faiblesse.

De cette étude attentive découlera pour nous la connaissance de la Loi du Devoir qui doit nous servir de guide.

Dharma est le même pour tous ceux qui sont arrivés au même stade d'évolution et qui se trouvent dans les mêmes circonstances.

Il y a une sorte de Dharma commun pour tous. Il y a des devoirs qui incombent à tous. Les dix devoirs imposés par Manou sont obligatoires pour tous ceux qui veulent œuvrer avec l'évolution : ce sont les devoirs généraux que l'homme doit à l'homme.

L'expérience du passé les a consacrés et ils ne peuvent donner lieu à aucun doute.

Mais, à propos de Dharma dont le caractère n'est pas si simple, il se pose de nombreuses questions. Pour ceux qui s'efforcent d'avancer sur le sentier de la spiritualité, la difficulté réelle est souvent de distinguer leur Dharma et de savoir ce que la Loi du Devoir exige d'eux.

Il y a souvent, dans notre vie journalière, bien des cas où des conflits de devoirs paraissent se dresser ; un devoir nous sollicite d'un côté et un autre dans un sens opposé ; nous sommes alors perplexes à l'égard de notre Dharma, comme le fut Arjuna à Kurukshétra.

Ce sont là quelques difficultés de la Vie Supérieure, c'est l'épreuve de la Conscience qui évolue. Il n'est pas difficile de remplir un devoir clair et simple, en ce cas, l'erreur est peu probable ; mais quand le chemin de l'action est embrouillé, quand nous ne le voyons pas clairement, comment le trouver dans l'obscurité ?

Nous savons qu'il y a des dangers qui obscurcissent la raison et la vision et qui rendent très difficile de distinguer le devoir.

Nos personnalités sont nos perpétuelles ennemies ; le soi inférieur, qui revêt cent formes différentes et prend parfois le masque de Dharma, nous empêche ainsi de reconnaître qu'en le suivant nous suivons plutôt le sentier du désir que le sentier du devoir.

Comment pourrons-nous reconnaître alors si c'est la personnalité qui nous fait agir ou si c'est le devoir qui dirige nos actes ?

Comment pourrons-nous savoir si nous nous égarons enserrés dans l'atmosphère même de la personnalité qui déforme sous l'influence du désir et de la passion les objets au loin ?

En de telles épreuves, je ne connais pas de moyen plus sûr que de se retirer dans son for intérieur, d'essayer de mettre de côté les désirs personnels, de chercher pour un moment à nous séparer de notre personnalité et d'envisager la question d'une façon plus large, plus claire, en priant notre Gouroudéva de nous guider ; alors, grâce à la lumière que nous pouvons obtenir par la prière et par l'analyse du soi et la méditation, il nous sera possible de choisir le sentier qui nous parait être celui du devoir.

Nous pouvons nous tromper, mais si, après nous être efforcés de voir clairement, nous nous trompons, rappelons-nous que l'erreur est nécessaire pour donner une leçon que nous devons apprendre et qu'elle est d'une importance vitale pour notre progrès ; nous pouvons nous tromper et choisir le sentier du désir, induits en erreur par son influence, et nous pouvons obéir à Ahamkara en croyant choisir Dharma.

Nous serions- nous trompés : en nous efforçant de bien voir, nous avons bien fait, ainsi qu'en prenant la résolution de bien faire.

Si même en essayant de faire le bien nous avons mal fait, soyons assurés que le Dieu en nous nous en corrigera.

Pourquoi nous désespérer quand nous nous sommes trompés, quand notre cœur est dirigé vers le Suprême et que nous avons cherché à voir juste ?

Je dirai plus : quand nous nous sommes efforcés de bien faire et que, dans notre aveuglement, nous avons mal agi, nous devrions plutôt accueillir avec plaisir la souffrance qui éclaire la vision mentale et, nous adressant avec intrépidité au Seigneur, lui dire :

"Encore, encore ici-bas les Flammes pour brûler tout ce qui obscurcit la vision, pour consumer toutes les scories mêlées à l'or pur. Brûle, ô Toi le Radieux, jusqu'à ce que nous sortions du feu, purs et raffinés comme l'or dont toute impureté a disparu !"

Annie Besant 1902