Nous ne savons rien.
Ainsi se résument toutes nos études, y compris les onze années consacrées à la musique, qui aboutissent à ce modeste travail comme à leur légitime couronnement.
Et cette constatation contient peut-être, en son cruel laconisme, le meilleur hommage qu'on puisse rendre au maître1 qui nous a menés, par les voies les plus sûres, à cette salutaire conviction.
Nous ne savons rien : ce que nous appelons savoir repose sur des opérations de notre esprit, et celles-ci, en définitive, sur une croyance.
Seules les vérités que l'Autorité traditionnelle nous affirme avoir été révélées par une puissance extérieure à nous offrent un degré de fixité suffisant pour qu'on en puisse faire l'objet de cette croyance ou de cette foi, et, par conséquent, la base stable de quelques observations scientifiquement vraies.
Toutes les autres ne formeraient qu'un amas vague et confus, où notre expérience débile et contradictoire tâtonnerait sans cesse, si elle n'y prenait pour point d'appui – consciemment ou non – la Vérité révélée.
L'acte scientifique de l'esprit est donc, par excellence et par nécessité, une sorte d'acte de foi : qu'on le veuille ou non, il implique une subordination totale de nos connaissances à l'Axiome indémontrable, une adhésion de notre volonté à l'Autorité fixe, indiscontinûment confirmée par les témoignages de la tradition, aussi loin que nous puissions remonter dans le passé.
Cette essence du « point fixe », de l'axe, de l'axiome, une fois constatée, acceptée et crue – mais non démontrée – toute opération de notre esprit devient susceptible de logique, d'ordre et de vérité relative : elle est légitimement « scientifique », parce qu'elle s'appuie volontairement et consciemment sur cet indispensable « acte scientifique de foi ».
Que l'authenticité de cet acte soit niée ou seulement remise en discussion, et, par cela même, nulle constatation n'est plus victorieusement opposable à nulle autre, nulle contradiction n'est plus soluble, nulle recherche sûre, nulle science possible. Car un fait quelconque n'étant jamais susceptible d'être constaté autrement que par rapport à nous-mêmes perd toute valeur et toute utilité scientifiques, du moment qu'on admet la contestation de notre principe, de notre raison d'être ou de notre existence même,– c'est-à-dire du point fixe par rapport auquel le fait a pu être valablement établi.
De cette espèce d'acte de foi découle toute connaissance ; de ce point fixe, toute appréciation saine et utile des faits ; de cet axe ou de cet axiome, toute coordination logique ; de cette autorité, toute science.
Nulle manifestation de notre activité n'est exempte de cet asservissement, dont l'humble acceptation confère à chacun de nos actes la seule « noblesse » à laquelle il puisse prétendre.
Tout acte conscient, même le plus simple, implique trois phases distinctes et plus ou moins successives :
Aucune de ces trois phases, que nous retrouverons partout, ne saurait être séparée de l'être agissant qui les traverse, c'est-à-dire, ici, de nous-mêmes : aussi bien dans l'immobilité que dans l'oscillation ou la translation, le « point fixe » (ou supposé tel), le « fait permanent » subsiste, soit qu'il s'agisse du simple examen d'une idée que notre esprit adopte ou rejette, soit qu'il faille accomplir un geste extérieur quelconque,... un voyage sur mer, par exemple.
En ce cas, le navigateur, avant de s'embarquer, examine attentivement, dans l'état d'immobilité, les instruments de précision auxquels il va « confier » la direction de sa route : c'est la première phase. Il les compare entre eux, par le moyen d'essais sur un parcours connu, d'oscillations successives qui permettent d'apprécier leur exactitude relative : c'est la deuxième phase.
Il part enfin, et l'axe, ainsi déterminé sur sa boussole et sur son bâtiment en état de translation, va devenir sa « ligne de foi », en laquelle il croit et il doit croire, s'il veut effectuer avec quelque sécurité le parcours prévu : c'est la troisième phase,... pleine de périls sans doute, mais qu'importe. Le navigateur confiant n'emporte-t-il pas avec lui son axe, demeuré immuable depuis le départ ? N'a-t-il pas sans cesse sous les yeux sa « ligne de foi », commune aux trois états de son navire : immobilité, oscillation, translation ? Et n'est-il pas, lui aussi, le « point fixe » par rapport à ces phases successives d'attention immobile, de réflexion oscillante et d'exécution translationnelle ?
Et cette grossière constatation, « être quelque part », n'est, en définitive, que celle de l'existence de la place ou du lieu occupé par le point fixe (ou supposé tel). Elle fait partie de ces inéluctables « axiomes », qui s'imposent à M. de la Palice et à nous tous, avec la même rigueur.
Nous sommes dans un lieu que nous ne pouvons abandonner sans nous trouver dans un autre ; et, pour apprécier respectivement ces deux lieux occupés successivement par nous, il faut nous placer à notre « point de vue », à ce point fixe, dont il vient d'être question, c'est-à-dire en nous-mêmes... et non ailleurs !
Note : 1 M. Vincent d'Indy, dans la première série de ses Classes de Composition musicale, de 1897 à 1907, à la Schola Cantorum.
Extrait de Les Trois Etats de la Tonalité, de Auguste Sérieyx
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