L’hédonisme (du grec "hêdonê" : plaisir) est la doctrine philosophique selon laquelle le plaisir est le bien unique et suprême dans la vie, et qui professe que la recherche du plaisir représente la fin idéale de toute conduite. Dans la Grèce antique, deux importantes théories hédonistes furent exposées, les cyrénaïques et les épicuriens.
L’école philosophique cyrénaïque tire son nom du lieu de naissance de son fondateur présumé, Aristippe de Cyrène (435-356). Elle fleurit du IVe au IIIe siècle av. J.-C.
L’éthique d’Aristippe est formulée par son petit-fils, Aristippe le Jeune (380-300). Ce dernier énonce que la finalité (souverain Bien) de l’existence est de vivre agréablement, en précisant qu’il s’agit d’un plaisir en mouvement calme.
Trois courants sont issus du tronc commun cyrénaïque : celui de Théodore l’Athée ou le Divin, vers 320, hédoniste, sceptique, cynique et provocateur, celui d'Annicéris (vers 230) qui se rapproche de l’épicurisme, et celui d'Hégésias, dit "Peisithanatos" (qui conseille la Mort), né vers 290, qui présente un cynisme nihiliste et suicidaire comme solution au malheur.
Ces hédonistes égoïstes, soutiennent que l'assouvissement des désirs personnels immédiats, sans égard aux autres, est la fin ultime de l'existence.
Selon les cyrénaïques, la connaissance s'enracine dans les sensations fugitives du moment ; il est donc futile de tenter de formuler un système de valeurs morales qui permettrait de juger la satisfaction des plaisirs actuels par rapport à la souffrance qu'ils pourraient causer dans le futur.
Les épicuriens [du nom du philosophe grec Epicure (341-270) fondateur de l’Ecole du Jardin], hédonistes rationnels, déclarent que le vrai plaisir ne peut être atteint que par la raison. Ils mettent l'accent sur les vertus de la maîtrise de soi et de la circonspection.
La thèse fondamentale de l’épicurisme présente le plaisir comme le bien suprême et le but ultime de la vie. Le plaisir intellectuel est le bonheur le plus haut. Le vrai bonheur résidant dans la sérénité qui résulte de la délivrance de la crainte, à savoir de la crainte des dieux, de la mort et de la vie après la mort, le dessein de toute la spéculation épicurienne sur la nature est de délivrer l’Homme de telles craintes.
Epicure donne comme but à atteindre un usage raisonnable des plaisirs. Il propose de favoriser ceux qui sont naturels et nécessaires, d’admettre ceux qui sont naturels mais non nécessaires et de fuir ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires ("calcul des plaisirs").
La physique épicurienne est atomiste, renouant avec la tradition de Leucippe (460-370, fondateur de "l’atomisme et du matérialisme mécaniste" et de son disciple Démocrite (460-370). Le monde, tel que l’œil humain le perçoit, résulte des tourbillons, collisions et agrégations de ces atomes, dont chacun ne possède que forme, grandeur et poids.
En biologie, Epicure préfigure la doctrine moderne de la sélection naturelle. Selon lui, les forces naturelles font naître des organismes de types différents, et seuls ceux qui sont capables de subvenir à leurs besoins et de se propager parviennent à survivre.
Pour être libéré de toute crainte et atteindre le bonheur, l’Homme doit apprendre à connaître le monde. Cette activité connaissante se fait d’abord, selon Epicure, par l’intermédiaire des sensations. La psychologie épicurienne est résolument matérialiste. Elle affirme que les sensations sont causées par un flot continu de particules ("simulacres") que les corps émettent et qui affectent nos sens. Toutes les sensations sont fiables ; l’erreur ne surgit que lorsqu’elles sont incorrectement interprétées par l’entendement : les erreurs des sens sont en réalité des erreurs de jugement.
Il existe en outre deux autres critères de vérité pour connaître le monde :
L’âme est composée de fines particules distribuées à travers tout le corps. La dissolution du corps dans la mort mène à la dissolution de l’âme qui est de nature corporelle et ne peut exister en dehors du corps :
« Lorsque nous sommes, la mort n’est pas et lorsque la mort est, nous ne sommes pas ».
L’éthique épicurienne est fondée sur la justice, l’honnêteté, l’amitié, la prudence ou la recherche de l’équilibre entre le plaisir et la douleur.
Le plaisir est la fin vers laquelle doit tendre toute existence, et cette fin peut être vérifiée empiriquement. Il est donc question pour le sage de chercher les moyens pour y parvenir, de manière à vivre "comme un dieu parmi les hommes".
L’amitié est également une vertu à cultiver : c’est une attitude intéressée en ce qu’elle procure des plaisirs, mais elle est dénuée de tout prosaïsme et de toute complaisance. L’amitié est en outre préférable à l’amour, qui tend à perturber la paix de l’esprit et la vie quotidienne, de même que les plaisirs intellectuels seront à privilégier sur les plaisirs sensuels.
L’hédonisme épicurien professe que ce n’est que par la maîtrise de soi, la modération et le détachement que l’on peut atteindre la tranquillité, la quiétude "catastématique" ("katastasis" : action d’arrêter), qui est le vrai bonheur.
Malgré son matérialisme, la doctrine épicurienne croit en la liberté de la volonté : même les atomes sont libres et, à l’occasion, ils peuvent se mouvoir d’eux-mêmes.
Epicure ne nie pas l’existence des dieux, mais il déclare que, "êtres heureux et indestructibles" d’une puissance surnaturelle, ceux-ci n’interviennent jamais dans les affaires de l’Homme, bien qu’ils puissent prendre plaisir à contempler la vie des mortels lorsqu’ils sont bons. La vraie religion consiste dans une contemplation similaire, par les mortels, de la vie idéale des dieux suprêmes et invisibles.
Il dit encore :
"Avec un peu de pain d'orge et de l'eau, on peut être heureux comme Jupiter."
"Les dieux ne sont point tels que le croit le vulgaire. L'impie est, non celui qui regrette les dieux de la multitude, mais celui qui attribue aux dieux les opinions de la multitude."
On résume la morale d’Epicure dans quatre canons symétriques :
Mais ces préceptes ne s'appliquent qu'à une seule de ses vertus : la tempérance. Il recommande au même degré trois autres vertus : la prudence, la force et la justice.
Les enseignements épicuriens ont été si durablement vénérés que les doctrines de l’épicurisme, à la différence de celles de son grand rival philosophique, le stoïcisme, sont demeurées remarquablement inchangées et vivantes pendant toute son histoire.
Cependant, l’épicurisme a été discrédité surtout en raison d’une confusion, toujours existante, entre ses positions et l’hédonisme prôné par les cyrénaïques.
Néanmoins, la philosophie épicurienne a gagné nombre de disciples prestigieux, comme Apollodore et, chez les Romains, Lucrèce (99-55), Horace (65-8) et Pline le Jeune (61-114).
Le poème De rerum natura (De la nature) de Lucrèce qui expose le système matérialiste d’Epicure, constitue la source principale de la connaissance de l’épicurisme : l’univers étant régi par des lois immuables, toute peur du surnaturel est superflue ; l’homme est un composé d’atomes qui retournera au néant dont il est sorti.
En tant qu’école établie, l’épicurisme disparaît au début du IVe siècle apr. J.-C.
Il sera renouvelé au XVIIe siècle par Pierre Gassendi.
L’abbé Pierre Gassend, dit Gassendi (1592-1655), mathématicien et philosophe français, est nommé professeur de philosophie à Aix en 1617.
Durant les années suivantes, il enseigne, voyage en Flandre et en Hollande et se consacre à des études de sciences et de philosophie.
II développe une critique d'Aristote dans Exercitationes paradoxicae adversus Aristotelacos (1624).
En 1634, il est nommé chanoine de la cathédrale de Digne.
Il prend part à une controverse sur la nature de la matière avec René Descartes (1596-1650) auquel il envoie ses "Objections" (1644) contre les "Méditations".
En 1645, il devient professeur de mathématiques au Collège royal à Paris.
En 1647, il développe une morale épicurienne fondée sur le plaisir de la sérénité dans De Vita et moribus Epicuri (Sur la vie et le caractère d'Épicure) suivi deux ans plus tard de deux nouveaux ouvrages sur Épicure.
On lui doit d'avoir réhabilité l'épicurisme dont il expose avant tout la morale du désir mesuré et de l'équilibre intérieur.
On considère que les théories de Gassendi frayent la voie aux méthodes empiriques modernes, anticipant celles du philosophe anglais John Locke (1632-1704) et du philosophe français Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780).
Il influence Newton (1642-1727) et les philosophes du XVIIIe siècle.
Il fait progresser l'astronomie (il observe les satellites de Jupiter, Mercure, etc.) et travaille sur la cartographie.
Le médecin Guillaume Lamy (1644-1683) est réputé pour avoir voulu explorer de nouveaux concepts en médecine, en se fondant sur l'épicurisme ; il a eu de vives discussions avec Pierre Cressé au sujet de l'âme humaine.
En 1789, Jeremy Bentham (1748-1832), économiste et juriste britannique, devient célèbre avec son Introduction aux principes de morale et de législation dans laquelle il fait de l'utilitarisme (doctrine de l'hédonisme universel) la base de sa réforme.
La tradition de l’utilitarisme remonte à Helvétius (1715-1771) et surtout à Hobbes (1588-1679).
Selon la théorie utilitariste, le critère absolu du comportement humain est le bien de la société, et le principe directeur de la conduite morale individuelle consiste à adopter le comportement qui procure le bien-être au plus grand nombre 2.
Bentham soutient que le principe d'utilité permet d'établir scientifiquement ce qui est moralement justifiable. Ainsi les actions sont-elles justes à ses yeux si elles tendent à produire le plus grand bonheur pour le plus grand nombre d'individus. Le bonheur est l'équivalent du plaisir 1.
Une sorte "d’arithmétique des plaisirs et des douleurs" permet de définir ce qu'est une action bonne ou mauvaise. S'il y a égalité de répartition des plaisirs et des peines, il devient alors possible de procéder à une évaluation utilitariste des activités morales, politiques et légales.
En fondant les valeurs sur les plaisirs et les douleurs, Bentham est conduit à réfuter la validité des droits naturels tout comme celle de la théorie du droit naturel 1. Il se consacre à une réforme en profondeur du système légal et à une théorie générale du droit et de la moralité, publiant de brefs travaux sur certains aspects de sa pensée.
Bentham fut le chef de file des utilitaristes qui comprennent James Mill (1773-1836) et plus tard son fils, John Stuart Mill (1806-1873). Ils fondent et éditent la Westminster Review, organe de leurs idées réformistes.
Bentham meurt à Londres le 6 juin 1832. Conformément à sa volonté, son corps est disséqué en présence de ses amis. Son squelette, vêtu et pourvu d'une tête de cire (la sienne ayant été embaumée) prend place dans un caisson de verre à l'University College de Londres qu'il a contribué à fonder.
Les idées de Bentham influenceront profondément les réformes de la fin du XIXe siècle auxquelles procédera l'Administration britannique en matière de droit criminel et de code de procédure criminelle et civile.
Bentham est aussi l'auteur du Raisonnement de l'évidence judiciaire (1827) et du Code constitutionnel (1830). Dans son Essai sur la pédérastie, qui paraît à titre posthume, il défend la dépénalisation de la pédérastie. 4
Jeremy Bentham - Philosophe
Ne fais rien dans ta vie qui te fasse redouter que ton voisin en prenne connaissance.
(Epicure, Sentences vaticanes)... Gigni de nihilo nihil, in nihilum posse reverti : Rien ne naît de rien, ne retourne à rien.
(Aulus Persius Flaccus, 34-62, Satires, III, 84, aphorisme résumant la philosophie épicurienne)Vouloir la vertu pour le plaisir, c'est tomber dans l'épicurisme.
(Fénelon +1715)Le monde humain n'est ni matérialiste, ni spiritualiste, ni stoïcien, ni épicurien.
(Buffon + 1788)Jouir sans interruption, c'est ne jouir de rien.
(Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach, 1723-1789)II est vrai qu'Epicure embrouille en quelques endroits sa doctrine, au risque de ne pouvoir plus s'entendre ni s'accorder ; et ceux de ses disciples qui ne voulaient pas être, selon l'expression d'Horace, des « pourceaux du troupeau d'Epicure », profitaient de ces obscurités pour crier à la calomnie, et se plaindre qu'on ne blâmait cette philosophie que parce qu'on ne la connaissait pas.
(Jean-François de La Harpe + 1803)Selon l'école épicurienne, le souverain bien, c'est la satisfaction complète de nos désirs, en un mot, le bonheur.
(Emile Saisset + 1863)L'Italien, en politique, est machiavéliste ; l'Anglais, utilitaire et malthusien ; le Français, glorieux et artiste.
(Proudhon + 1865)Gardons-nous d'introduire l'utilitarisme dans la guerre, pas plus que dans la morale.
(Proudhon)L'épicurisme se nomme aujourd'hui le sensualisme.
(Abbé Louis Eugène Marie Bautain + 1867)On représente ordinairement l'épicurisme comme la doctrine du plaisir : rien n'est plus faux, quant à Epicure.
(Pierre-Henri Leroux + 1871)Je crois qu'il n'y a qu'un utilitaire au monde capable d'arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.
(Théophile Gautier + 1872)Autrefois, il convenait que l'esprit rejetât le corps ; aujourd’hui, le corps, sous l’effet d'un épicurisme sans éthique, évacue l’esprit.
(Jean-Paul Coudeyrette, Autocitations)
Sources
Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : Compilhistoire
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