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A quoi sert le Rite ?

A quoi sert le Rite ?

 

En tant que Païens, c’est une question très importante que nous allons aborder ici, celle du Rite et du pourquoi de son existence. Il serait même juste de dire que le Rite est la pierre angulaire de toute société Païenne. Celui qui ignore l’importance du Rite, passe à côté de l’essence même du Paganisme, car le Rite a non seulement un rôle fondamental dans sa fonction religieuse, mais aussi dans sa dimension humaine, sociale, et même politique. Le Rite est le ciment des civilisations traditionnelles depuis la nuit des temps. Durant les périodes de la haute préhistoire, le Rite avait surtout une fonction strictement magico-religieuse. Puis, ce sont encore une fois les Indo-Européens qui vont apporter avec eux une vision plus approfondie de tout ce qui touche à la conception du Rite, ce qui va nous permettre d’affiner et d’élargir notre approche du sujet.

Malgré ce qu’en disent les Monothéistes et autres matérialistes, le Rite n’est pas une superstition. Pour un Païen il relie les différents univers entre eux, il établit une connexion vitale. Dans les sociétés d’origine indo-européenne, le Rite est même bien plus que cela, car il fut le fondement du droit constitutionnel antique. Il est à ce titre une prérogative de l’aristocratie. Les magistrats par exemple étaient ceux qui devaient accomplir les grands Rites de la société, tout comme le roi ou simplement le père ou la mère de famille devaient accomplir les Rites de la nation ou du clan. Les Rites sont définis par des règles strictes car ils sont donnés par un Dieu ou Héros. Si le Rite n’est pas accompli, il se génère alors un décalage entre le monde des hommes et celui des Dieux, entre la dimension humaine et la dimension cosmique. Les Dieux pourraient devenir hostiles, ce qui mettrait en avant une profonde fracture dans l’harmonie qui devrait régner entre humains et Dieux. Le poète de la Grèce antique Pindare, un grand homme de la tradition Païenne, écrivait que par son action le prêtre sauvait la cité chaque jour. Le Rite est ainsi le canal entre l’ordre divin et l’ordre humain. Le mot « ordre » n’est pas choisi par hasard étant donné que cette conception correspond à la clé de voûte de la vision polythéiste. L’ordre est ce qui maintient les mondes reliés entre eux de forme harmonieuse, ce qui permet la vie, et sans lequel tout plongerait dans le chaos absolu. Tout ce qui est vital relève de l’ordre : les rythmes cycliques de la nature, les rythmes de la vie (naissance-mort-renaissance), les sociétés des humains et des Dieux. Tout ce qui permet de croître et de construire est régi par des règles fondées sur l’ordre. Pour les anciens, il n’existait pas d’acte important qui ne soit pas un Rituel. Les Dieux ou les humains qui donnent les règles des Rites, sont ceux qui ont atteint un stade de juste vision du monde et de la destinée.

Les grands philosophes de l’antiquité avaient leur quête du Graal, qui était celle de l’eunomia (les bonnes lois) en opposition à l’anomia (l’absence de lois). Cette vision sacrée liée aux « bonnes lois », elle-même fondée sur le Rite, reflète une fois de plus cette opposition entre ordre et chaos. L’eunomia avait d’ailleurs une telle importance qu’elle fut incarnée par une Déesse régissant la loi, la justice et la législation. On la considérait comme une fille de Zeus et de Thémis, et selon Hésiode elle serait une des Heures. Chez les Romains, cette Déesse Eunomia allait porter le nom de « Discipline ». Les lois données sont l’expression d’une force naturelle, c’est l’ humain qui génère une volonté de forme. L’ humain organise le chaos, il lui donne une forme en le sortant de l’informel, il établit l’ordre divin. Les héros solaires de nos anciennes traditions Païennes comme Hercule, Siegfried, ou Cúchulainn, avaient bien compris ce mécanisme qui repose sur une autre notion fondamentale du Rite qui est celle du sacrifice. Dans nos anciens mythes, tous les Dieux qui apportent avec eux l’ordre et la législation passent par un Rite d’auto-dépassement, un surpassement de soi-même permettant l’accès aux dimensions supérieures de l’être. On trouve par exemple dans la tradition germano-nordique le cas du Dieu Wodan / Óðin qui se sacrifie rituellement à l’arbre du monde.

Les sociétés Païennes possédaient de nombreuses fêtes qui ponctuaient les cycles de l’année solaire ou lunaire. Ces fêtes ont de profondes racines et ne sont pas non plus la conséquence du hasard. Les fêtes sont marquées par des Rituels qui réactualisent les sacrifices des Dieux et des Héros. Les fêtes rétablissent le lien avec l’ordre divin, elles permettent de se ressourcer en intégrant les grands cycles naturels. L’humain connecte ainsi dans la dimension verticale avec les Forces Divines pour appliquer l’Ordre Divin à la société des humains dans la dimension horizontale, deux axes perpendiculaires qui ne sont pas sans rappeler les bases graphiques de la Roue Solaire et de tout le symbolisme qui s’y rattache. Le Rite réactualise donc l’acte fondateur à tous les niveaux, c’est un devoir qui incombe aux êtres des mondes liés au Principe de l’Ordre. Que ce soit un Dieu, un Héros, ou un père de famille, le Rite doit être accompli afin de redonner libre voie à l’acte fondateur divin, on renoue avec les origines pour mieux réintégrer les cycles de la vie. Dans ce contexte du Rite à travers les célébrations festives, il faut noter que l’action rituelle possède également des éléments héréditaires qui fonctionnent eux aussi selon le mécanisme des deux axes. Dans les civilisations solaires et ouraniennes, le Rite consolide la transmission physique et spirituelle de la lignée et de son clan, celle qui passe par un plan vertical de l’Être, alors que la transmission rituelle de l’héritage matériel passe par le plan horizontal, celui du Devenir. L’esprit du clan revit au travers de l’accomplissement des Rites, ce qui permet de dominer le monde du Devenir et de se connecter avec les Dieux et Déesses de ses ancêtres.

Notre analyse du Rite ne s’achève pas ici, car elle va nous ouvrir les portes d’une connaissance de nos jours hélas trop souvent oubliée…

Tout Rite se décompose en général en trois phases :

  • La préparation, phase qui implique une purification physique et spirituelle de celui qui pratique le Rite. Ceci a pour but de favoriser le rapport de l’humain au Divin.
  • Le processus évocatoire, partie du Rite qui sature les énergies dans la personne du sacrificateur et/ou du sacrifié, ou de tout autre tiers élément.
  • L’action rituelle, moment qui détermine le Rite en soi, c’est à dire le sacrifice, l’allumage du feu, l’offrande, la parole, etc… C’est durant cette phase que s’opère la réactualisation de la présence du Dieu ou de la Déesse.

Comme nous l’avons vu, le Rite relie l’ici-bas avec le haut, donc un Rite mal accompli peut être extrêmement grave car il génère une rupture dans l’harmonie entre le macrocosmique et le microcosmique. Le Rite qui échoue blesse le Dieu, et se transforme en sacrilège. Le Rite accompli avec droiture permet de vivre soutenu par les Dieux. Notre monde est le reflet d’un monde plus subtil et invisible aux yeux du commun des mortels. L’harmonie est caractérisée par une correspondance entre les différents mondes, par une consubstantialité. L’action rituelle détermine donc les causes et les effets dans le monde de l’être, celui de la verticalité. Le Rite est ainsi fondamental non seulement pour l’ordre mais aussi pour la hiérarchie divine et humaine.

Le respect de la hiérarchie naturelle est en effet un autre des aspects symboliques liés au Rite. Chez les Indo-Aryens, les Brahmanes sont à la tête de la société car ce sont eux qui pratiquent les Rites, une position similaire à celle qu’avaient les Druides dans la société celtique. Le Rite et le sacrifice investissent celui qui les accomplit d’une certaine force. Le prêtre est puissant, et cette puissance pouvait être héréditaire. Mais elle devait être réveillée au sein de la descendance ou de toute autre personne préparée pour assumer cette très importante fonction sacerdotale. Ce réveil s’acquiert au cours d’une initiation, car seul un Rite d’initiation permet de renaître. Seul celui qui a reçu cette initiation peut véritablement avoir la connaissance et les qualifications requises pour pratiquer le Rite. C’est par leur rapport au divin par exemple que les Brahmanes ont pu maîtriser et donner une direction aux foules nombreuses, une gestion des foules qui se fait grâce à leur puissance liée au Rite et à leur supériorité liée à la connaissance de toute chose. En Grèce et à Rome, seuls les patriciens, l’aristocratie romaine, pratiquaient les Rites importants de la société. Les plébéiens n’avaient pas de Rites majeurs, car il était dit d’eux qu’ils n’avaient pas de “genos”, la sacralité de la lignée de sang.

Par ailleurs, dans le cadre de la communauté, le Rite est aussi le ciment d’un processus d’intégration et/ou d’exclusion. La tradition sacrée fait exister le patricien de l’aristocratie romaine. Dans le régime des castes chez les Indo-Aryens, la défense du mélange entre castes est sévère. La différence principale entre plébéiens et patriciens vient du fait que le patricien a une ascendance, ce qui implique la possibilité d’une transcendance grâce à la tradition et au Rite. L’aristocrate dans la société Païenne indo-européenne est celui qui renaît : le sang est une potentialité qu’il faut mettre en œuvre par le Rite d’initiation, celui qui le mène vers la renaissance. Sans l’éveil, l’être n’est qu’un plébéien. Dans les civilisations traditionnelles d’origine indo-européenne, les plébéiens au niveau transcendantal ne se caractérisent pas par des aspirations élevées. C’est un point qui marque la différence entre traditions d’origine ouranienne et d’origine chtonienne. Selon le concept surnaturel de l’aristocratie germanique, le chef dirige le clan et la lignée, et tout comme le père de famille, il accomplit les Rites car la classe sacerdotale y était souvent absente en tant que telle. Chez les Spartiates, l’initiation rituelle est la condition sine qua non pour acquérir le stade d’humanité. L’initié a ainsi une nouvelle vie et une nouvelle fonction au sein de sa communauté. Il participe alors à un ordre qui dépasse sa simple condition d’individu, il intègre pleinement une communauté régie par les Rites et les lois d’une hiérarchie naturelle. Il est intéressant de noter au passage que, contrairement à une idée observée dans certaines branches néo-Païennes où tout a tendance à se concentrer sur l’individu et à partir dans tous les sens, les Paganismes historiques, eux, ont de tous temps démontré que tout s’articule autour du clan et non autour de l’individu. L’individu est fier d’appartenir à un clan, car il est conscient de son rôle vital au sein de sa communauté de sang. Il choisit librement par son initiation d’accomplir une mission bien particulière, celle de réaliser son destin au service des siens.

Certains aperçus sur le droit romain éclairent le rôle du père de famille. Le paterfamilias était analogue au roi dans son cadre strictement familial construit sur les principes de l’autorité spirituelle et de la paternité. Bien que l’état ne trouve pas son origine dans l’ordre familial, il existe quand-même de fortes similitudes. Le père de famille était celui qui devait célébrer les Rites du clan et de la lignée. Dans ce contexte rituel, le feu jouait un rôle important. Il existait par exemple 30 feux autour du feu central des Vestales, 30 feux pour les 30 lignées de Rome. Le feu central, allumé suivant des Rites secrets et alimenté par des substances spéciales, devait brûler dans tous les foyers. Le père du foyer quant à lui était le héros qui renouvelle l’acte du fondateur de la lignée, et qui était le médiateur entre les humains et les Dieux. Le père permettait ainsi à cette force transcendantale de s’incarner en permanence dans le monde. Chez les Indo-Aryens, Agni, le Dieu du feu, était l’un des Dieux les plus importants. Il est le pont entre le monde des Dieux et celui des humains, car le feu est une incarnation de l’ordre, il est le canal rituel qui mène les humains aux Dieux et vice-versa. Agni est le fils de cette Force Divine qui participe de la manifestation royale de la famille. C’est donc au père qu’incombe le devoir de perpétuer la flamme de la tradition, ce qui implique la rigueur des règles et du droit.

Chaque humain libre doit créer autour de lui une part concrète de l’ordre, car il devient ainsi partie intégrante de la communauté et participe au maintien de l’harmonie cosmique. Prêtres et paterfamilias connaissent les Rites sacrés et les lois, ils portent la lourde responsabilité de maintenir la flamme vive, et sont donc, de par ce fait, des intouchables. Ils ont un droit absolu sur ceux qui en dépendent. Avec cette position quasi sacerdotale, le père assume au sein de la famille le rôle de la première fonction indo-européenne, celle qui correspond à l’aspect souverain et magico-religieux. Dans la tradition païenne germano-nordique, cette fonction par exemple est couverte par le Dieu Wodan / Óðin. Tout ceci nous ramène d’ailleurs encore une fois à l’importance qu’a la classe sacerdotale dans la société indo-européenne et celles qui en descendent. Les grandes décisions politiques ne se prenaient jamais sans l’avis du Druide, du Brahmane, du Volkhvy, du Pontifex maximus, ou du Paterfamilias pour les décisions prises au sein de la famille ou du clan.

Fustel de Coulanges a démontré par ses recherches que le Rite était le fondement de la cité dans l’antiquité. Dans les sociétés païennes en général, toute la constitution et le droit reposent sur la tradition du Rite, cette tradition vivante car toujours renouvelée, et qui permet à l’ordre et à l’harmonie de régner. Si un étranger au clan ou à la famille était admis à connaître le Rite et à pouvoir l’accomplir, il primait sur le vrai fils si celui-ci n’accomplissait pas le Rite. Lors du mariage, la femme doit adopter les Dieux de sa famille d’adoption. Dans la tradition indo-aryenne, la primogéniture, le premier fils, est seul capable de permettre au père de s’acquitter de son devoir envers les Dieux de la famille. Le fils prend ainsi la succession du père. Le premier fils est engendré par devoir car il doit ensuite assumer la même fonction pour maintenir vive la flamme, les autres fils sont engendrés par nature. Un initié pouvait donc avoir ses parents comme maîtres spirituels. Lorsque le premier fils, pour une raison ou une autre, ne pouvait pas accomplir sa fonction comme successeur du père pour les Rites de la famille, il était alors commun de choisir un fils spirituel, un fils adopté pour les Rites sacrés, lequel recevait une initiation qui le faisait renaître au sein du nouveau clan. Dans ce cas, il est manifeste que la paternité du fils spirituel est plus importante que celle du fils biologique, la renaissance rituelle plus importante que la naissance naturelle. Ce qui permet de constater au passage que la loi du sang ne relève pas non plus d’une rigueur absolue. L’une des qualités du Paganisme est le pragmatisme, le « savoir s’adapter ».

Ainsi, nous avons pu voir au cours de cette étude que le Rite avait une fonction qui allait bien au-delà de la simple question religieuse. Le Rite maintenait unis les gens d’une même famille, d’un même clan, ou d’une même nation. Il permettait de consolider et de renouveler les liens qui unissent humains et Dieux, tout comme il renforçait la cohésion entre les hommes en s’articulant autour de règles religieuses, sociales et politiques bien précises. Contrairement donc à certaines tendances modernes, le Rite ne relève point d’un caprice individuel, mais reste principalement l’affaire d’une famille, d’un clan ou d’une nation. L’ordre en dépend, et la survie nécessaire de cette sagesse qui nous relie à notre passé le plus lointain et à nos ancêtres sans qui nous ne serions pas là aujourd’hui.

Hathuwolf Harson
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